Les Seychelles veulent sauver le « coco-fesses »
Les Seychelles veulent sauver le « coco-fesses »
Par Bruno Meyerfeld (Ile de Praslin (Seychelles), envoyé spécial)
Le cocotier de mer est en voie de disparition. Son fruit, le plus gros du règne végétal, s’écoule à prix d’or sur les marchés asiatiques.
Un « coco de mer » ou « coco-fesses », sur l’île de Praslin, aux Seychelles, en 2012. | ALBERTO PIZZOLI/AFP
Marc Jean-Baptiste, administrateur du parc de la vallée de Mai aux Seychelles, hésite sur les mots pour qualifier le fruit qu’il a sous les yeux. « C’est une noix bilobée… elle ressemble à un cœur… ou si vous préférez, au bassin d’une femme », dit-il en tâtonnant, un peu gêné. L’objet a pourtant une forme plus qu’évocatrice : dans le monde entier, on le connaît sous le nom de « coco-fesses ».
Il n’y a guère qu’une poignée d’environnementalistes pour l’appeler par son nom officiel de « coco de mer ». Ce fruit, le plus gros de tout le règne végétal, qui pèse entre 20 kg et 45 kg pour une cinquantaine de centimètres de diamètre (dix fois plus qu’une pastèque), est aussi le symbole national des Seychelles, présent sur les frontons d’innombrables hôtels et restaurants, offert aux hôtes de marque, inscrit sur les visas d’entrée et les armoiries du pays.
Mais le coco-fesses est en danger. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a placé l’espèce dans sa liste rouge, il ne resterait guère plus que 8 282 cocotiers dans le monde et vivant à l’état sauvage, répartis dans moins de six sites et sur les seules îles seychelloises de Curieuse et Praslin.
La vallée de Mai, nichée au cœur de cette dernière et inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, avec sa flore conservée dans son état quasi originel, ses geckos impassibles et ses perroquets rieurs, abrite l’une des plus grandes forêts de cocotiers de mer.
L’espèce a perdu 30 % de sa population en trois générations. « Et on estime que le phénomène pourrait se poursuivre dans la centaine d’années à venir », craint M. Jean-Baptiste. La faute, d’abord, au braconnage. Le drame du coco-fesses est d’être un fruit légendaire, très prisé en Asie, où on lui trouve des vertus (forcément) aphrodisiaques. Sa rareté en fait un produit de luxe, très rémunérateur pour les braconniers. Une coque vidée de coco-fesses se négocie ainsi autour de 300 euros l’unité, et plus de 400 euros le kilo si la pulpe (ou « kernel ») est encore comestible.
L’annus horribilis fut celle de 2014, lorsque 228 noix étaient arrachées aux cocotiers par les braconniers, pénétrant dans la vallée de nuit en profitant de l’absence de grillage et de surveillance. « C’était dramatique, car arracher les cocos a un impact direct sur leur processus de reproduction des cocotiers. Quand un arbre meurt aujourd’hui, il n’y en a pas de nouveau pour prendre sa place », insiste l’administrateur du parc.
Multiplication des patrouilles
Pour sauver le symbole de la nation, l’Etat a pris les grands moyens. « Nous avons multiplié les patrouilles et une force d’intervention spéciale a été créée », détaille Frauke Fleischer-Dogley, directrice de la Fondation des îles des Seychelles (SIF), organisme public chargé de la protection la vallée de Mai. La législation a aussi été renforcée : un braconnier de coco-fesses risque aujourd’hui 35 000 euros d’amende et deux ans de prison. « La situation s’est améliorée. Les cocotiers attaqués par les braconniers commencent à se régénérer. Nous n’avons eu une nette diminution des incidents ces derniers mois », assure Mme Fleischer-Dogley.
De son côté, le gouvernement souhaite favoriser une exportation légale des coco-fesses afin de couper l’herbe sous le pied des braconniers. Aujourd’hui, seules quelques noix tombées au sol sont ramassées chaque année et leur coque vidée vendue aux touristes. Seules trois entreprises disposent d’une licence pour extraire le kernel du coco-fesses et l’exporter à l’étranger.
« Je pense qu’il faut se servir du coco comme l’Afrique le fait avec ses animaux ! », insiste le ministre du tourisme des Seychelles, Alain Saint-Ange. En 2014, une première « foire culinaire du coco de mer » était organisée à Praslin pour mettre en valeur le produit. « Mon idée, c’est de créer une usine de transformation du coco pour produire de la farine et de l’huile. Cela incitera à planter des arbres, sauvera le coco de mer et donnera une nouvelle source de revenus aux Seychellois ! »
Mais le lait de coco-fesses au supermarché n’est pas pour demain : il faut une bonne vingtaine d’années pour qu’un cocotier atteigne sa taille adulte et produise ses premiers fruits. « Et le braconnage n’est pas le seul danger pesant sur les cocos de mer ! », rappelle Marc Jean-Baptiste. A Praslin, 40 % des terres ont déjà été mises à nu par des incendies.
La vallée de Mai, avec ses 19,5 petits hectares, est particulièrement vulnérable. « A cause du changement climatique, il y a moins de pluie, plus de sécheresse : les risques de feu sont accrus, s’alarme Mme Fleisher Dogley. Un seul incendie suffirait pour que les derniers cocotiers sauvages disparaissent d’un claquement de doigt. »