Quand des décrocheurs deviennent développeurs web
Quand des décrocheurs deviennent développeurs web
Malgré un parcours scolaire et professionnel compliqué, des personnes sans emploi retrouvent confiance grâce à une formation numérique ouverte à tous. La start-up Simplon.co a développé un réseau d’écoles comme levier de cohésion sociale.
Dans les locaux de Simplon.co, une start-up de l’économie sociale et solidaire qui forme, gratuitement et sans exiger un niveau préalable de formation, au métier de développeur web, Yacine est tout sourire : « Sacrifier six mois pour suivre une formation comme celle-là, ça vaut le coup ! C’est une vraie aubaine. »
C’est dans une ancienne usine de la rue de Vincennes, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), qu’a élu domicile cette entreprise fondée en 2013. Son décor industriel abrite trois espaces distincts consacrés au travail individuel, à la détente et aux cours, où sont formés six mois durant des jeunes éloignés de l’emploi ou des personnes en reconversion professionnelle.
L’objectif ? « Utiliser la tension de recrutement sur les compétences numériques comme levier d’insertion professionnelle pour les demandeurs d’emploi et les décrocheurs, dans les quartiers populaires, les zones rurales et l’outre-mer, avec un objectif de parité hommes-femmes », explique Frédéric Bardeau, l’un des fondateurs de Simplon.co.
Simplon propose des formations intensives de six mois pour apprendre la programmation informatique. Tous les jours, les élèves travaillent en mode projet, participent à des « hackathons », rencontrent des professionnels et transmettent les connaissances récemment acquises à des publics aussi variés que des enfants, des adolescents en décrochage scolaire, des adultes demandeurs d’emplois ou salariés, etc.
« Enfin, je peux me projeter »
Sans emploi, Yassine, Maubeugeois de 21 ans, n’a pas connu que des jours heureux. Après une année de terminale tumultueuse, il met un terme à ses études et se trouve aspiré dans la tourmente de la précarité durant trois ans.
« J’ai commencé par des missions d’intérim, puis grâce à une connaissance, j’ai intégré les bateaux-mouches en tant que matelot puis intendant. J’ai été formé sur le tas, mais je ne voyais aucune perspective. »
Cette perspective, Simplon.co la lui offre, justement. « Les métiers du numérique, c’est l’avenir ! Enfin je peux me projeter. Cette formation m’a réconcilié avec les études », se réjouit-il. « Les métiers du numérique, c’est l’avenir ! Enfin je peux me projeter. Cette formation m’a réconcilié avec les études »
Charlotte, 21 ans, a été formée au développement web par Simplon.co. | Simplon
« J’ai choisi de devenir développeur car c’est un secteur porteur et riche en opportunités », confirme Soufiane B., actuellement en formation. Après un bac scientifique, il intègre l’université mais l’aspect « trop académique » ne lui convient pas. Il se lance dans la vie active, comme bagagiste à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Mais la crise du transport aérien laisse les contrats précaires sur le carreau. Il retrouve rapidement du travail en tant que technicien de réseau. Mais en 2016, ce jeune père de famille de 32 ans se retrouve à nouveau à Pôle emploi, à la suite d’un licenciement économique. Cette fois, un seul mot d’ordre : « Utiliser ce temps libre à bon escient en me formant. J’avais toujours été attiré par les métiers de l’informatique. »
La sélection repose essentiellement sur la motivation. « En trois ans, Simplon.co a formé un millier de personnes et à l’issue de la formation, 80 % d’entre elles sont en emploi ou en activité », assure Frédéric Bardeau. La start-up forme aujourd’hui plus de 500 personnes tous les six mois, dans ses locaux mais aussi au travers d’un réseau de plus de trente écoles partenaires situées dans les quartiers populaires, en milieu rural, outre-mer et à l’étranger. « Nous souhaitons continuer à essaimer partout en France, en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient », ajoute le cofondateur.
Confiance retrouvée
Bintou K., 25 ans, et Hakima H., 29 ans (elles n’ont pas souhaité donner leurs noms), ont parié sur cette formation. Après avoir échoué au bac pro, l’une en comptabilité, l’autre en secrétariat, ces deux jeunes femmes pétillantes décident de travailler. Sans se laisser abattre, elles exercent des petits métiers, garde d’enfants, télé-marketing, etc., pour subvenir à leurs besoins. Elles finissent par pousser les portes de Simplon.co. « J’ai toujours eu une appétence pour le numérique, mais je ne savais pas où ni comment me former, souligne Bintou. C’est par le biais d’un réseau professionnel de femmes musulmanes de France que nous avons eu connaissance de cette opportunité. »
Bintou K., 25 ans, formée par Simplon.co. | Simplon
Simplon.co a su leur redonner confiance et dissiper leurs craintes. « Je pensais que le foulard que je porte serait un obstacle à la sélection, finalement, on m’a encouragée à être moi-même », explique Hakima. Aujourd’hui, à mi-formation, les deux jeunes femmes ont pour ambition d’exercer à leur compte le métier de développeure web.
« Simplon.co ce n’est pas scolaire, c’est humain », résume Charlotte K., du haut de ses 21 ans. Piercing sur la lèvre, cheveux sombres parsemés de pointes blondes, elle assume les aléas de son parcours : « A l’école, je n’étais pas de celles qui faisaient des étincelles. Je n’ai pas toujours fait les meilleurs choix et je reconnais ma part de responsabilité », assure-t-elle.
Après avoir été orientée en bac pro cuisine, « un beau métier mais un univers qui ne me correspondait pas », elle a eu du mal à trouver son chemin, se sentant incomprise par les professionnels qu’elle a pu rencontrer.
« Même à l’école de la deuxième chance, ils ont dit que je n’étais pas suffisamment motivée, se souvient-elle. Aujourd’hui, j’étudie avec plaisir. Les formateurs m’ont encouragée à les solliciter à tout moment. C’est l’état d’esprit de Simplon. Surtout, je me sens entourée, c’est comme une famille. »
Karima Taïbi (Reporter citoyen)
Paroles de sans-voix, un projet original
Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas – ou si peu – dans le débat public, et ce à l’approche des échéances électorales que l’on sait : c’est la raison d’être du projet éditorial Paroles de sans-voix, fruit d’un partenariat entre Le Monde, l’Association Georges-Hourdin (du nom du fondateur de l’hebdomadaire La Vie, qui appartient au groupe Le Monde) et cinq associations actives dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion (Amnesty International, ATD Quart Monde, Cimade, Secours catholique, Secours islamique).
Autre aspect original de l’opération : les articles sont rédigés – et les vidéos tournées et montées – non par la rédaction du Monde mais par l’équipe des Reporters citoyens, des jeunes issus de quartiers populaires d’Ile-de-France qui ont suivi une formation gratuite au journalisme multimédia.