La Bourse de Nairobi est-elle la pire au monde ?
La Bourse de Nairobi est-elle la pire au monde ?
Par Bruno Meyerfeld (contributeur Le Monde Afrique, Nairobi)
L’indice principal de la Nairobi Securities Exchange, le NSE 20, a perdu 10 % depuis le début de l’année.
« La pire Bourse du monde. » Le moins qu’on puisse dire, c’est que la Nairobi Securities Exchange (NSE) a gagné un surnom peu enviable ces dernières semaines. Depuis le début de l’année, rien ne va plus sur le marché des actions de Nairobi, entraîné dans une chute sans fin. Le principal indice, le NSE 20, a perdu près de 10 % de sa valeur depuis le début de l’année, avoisinant les 2 900 points, un niveau jamais connu depuis 2009 et la crise financière mondiale.
Mais la dégringolade ne date pas d’hier. Depuis le début de 2015, la valeur du NSE 20 a été divisée par deux. « Et en 2016, seules neuf sociétés, sur les soixante-huit cotées à la Nairobi Securities Exchange, ont vu le prix de leurs actions augmenter », rappelle Charles Mwaniki, journaliste spécialiste de la Bourse au quotidien kényan Business Daily.
En 2016, des fleurons économiques du pays ont connu des chutes lourdes, comme la banque KCB (-34,29 %) ou l’East African Breweries (-10,62 %), qui brasse la bière nationale, la Tusker. Seules les actions d’une poignée d’entreprises connues à l’étranger permettent à la Bourse de Nairobi de ne pas couler trop profondément. Le géant des télécommunications Safaricom (+17,48 %) ou British American Tobacco, leader des cigarettes en Afrique subsaharienne (+15,8 %), sont de celles-ci.
« Une tempête parfaite »
Le titre de pire Bourse du monde qu’est en train de glaner la NSE est d’autant plus surprenant que tous les voyants sont au vert au Kenya, dans la première économie d’Afrique de l’Est, avec une inflation maîtrisée et une croissance du PIB qui devrait s’établir à 5,9 % en 2016 selon la Banque mondiale. Le Kenya, qui n’exporte pas encore de pétrole, n’a pas subi les conséquences de la chute du prix des matières premières, à la différence de nombreux pays africains.
Comment alors expliquer une telle panade ? « C’est une tempête parfaite, résume Aly-Khan Satchu, analyste indépendant basé à Nairobi, qui cite un contexte local et international difficile. Tout d’abord, nous sommes en année électorale, avec un scrutin général prévu au mois d’août. Ça met les marchés sur la défensive. Ensuite, le pays subit les conséquences de l’élection de Donald Trump, avec des investisseurs américains qui hésitent à investir à l’étranger. Enfin, il y a le choc du Brexit : le Royaume-Uni est l’un des principaux importateurs de produits kényans. Tout cela plonge le pays dans l’incertitude. »
Mais les causes sont aussi liées à des décisions politiques prises depuis plusieurs années. « Les banques comme KCB, Equity ou Barclays pèsent près de la moitié de la capitalisation boursière au NSE, rappelle M. Mwaniki. Or, le gouvernement a adopté depuis 2015 des mesures qui ont fait chuter les marges de celles-ci et réduit la confiance des investisseurs. On voit que la chute de la NSE a débutée début 2015, suite à l’adoption d’une loi taxant les bénéfices lors des ventes d’actions à la Bourse de Nairobi. » Cette dernière a depuis lors été abolie. Mais au mois d’août 2016, le président Uhuru Kenyatta a signé un décret plafonnant les taux d’intérêt des bancaires. « A nouveau, les banques ont été déstabilisées. Les traders kényans ont tout simplement arrêté d’acheter des actions », détaille M. Mwaniki.
Un impact limité sur l’économie réelle
Quand finira la chute ? « Nous prévoyons de toucher le fond à un moment ou un autre », a confié Geoffrey Odundo, directeur exécutif de la NSE dans une interview à Bloomberg en janvier, suggérant que la situation pourrait même représenter une opportunité pour les investisseurs souhaitant acheter des parts dans des entreprises kényanes à moindre coût.
« Une reprise forte est très peu probable tant qu’on n’abolira pas le plafond sur les taux d’intérêt des banques, insiste M. Khan Satchu. La décision, décriée par les banquiers, est en revanche applaudie par la majorité des Kényans qui n’ont pas accès au crédit bancaire. « C’est une décision populiste et politique, estime l’analyste. Je ne pense pas que ce décret puisse être annulé avant les élections. »
Quoi qu’il en soit, dans un pays où plus des trois-quarts des emplois sont créés par le secteur informel selon les Nations unies, l’évolution du cours de la Bourse a un impact limité sur l’économie réelle. « Ce n’est pas comme en France ou en Grande-Bretagne, analyse M. Mwniki. Les grandes entreprises cotées en Bourse ne représentent qu’une fraction de l’économie. Il y a très peu de traders et la Bourse kényane est plus une niche qu’autre chose. Le cours des actions est un indicateur parmi d’autres. Ici, la Bourse peut aller dans la direction inverse de l’économie. »