Le viol reste un tabou pour de nombreuses victimes
Le viol reste un tabou pour de nombreuses victimes
Par Gaëlle Dupont
Selon une enquête de l’Observatoire national de la délinquance, seule une victime sur cinq se rend à la police ou à la gendarmerie.
La très grande majorité de victimes de viol ne porte pas plainte. Cette réalité est confirmée par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) dans une enquête rendue publique mercredi 8 février.
L’échantillon étudié est composé de 290 personnes (dont 84 % sont des femmes) résidant en France métropolitaine, âgées de 18 à 75 ans, ayant déclaré avoir subi un viol au cours des deux années précédentes, interrogées par l’Institut national de la statistique dans le cadre des enquêtes « cadre de vie et sécurité » réalisées de 2008 à 2015. Leurs réponses permettent de donner des ordres de grandeur et de mieux connaître le comportement des victimes.
Les violences sexuelles sont un phénomène massif : 62 000 femmes et 2 700 hommes sont victimes d’un viol ou d’une tentative chaque année selon les dernières données de l’institut national d’études démographiques.
« C’est la face émergée de l’iceberg, car ces chiffres ne concernent que les majeurs, observe Ernestine Ronai, chargée de ce dossier au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, auteure d’un rapport consacré au viol en octobre 2016. Or 60 % des victimes sont mineures. Il faut aussi ajouter les personnes sans domicile. » Les faits se produisent majoritairement dans l’espace privé (famille, entourage, connaissances).
Une des infractions les moins rapportées à la police
« Le viol est l’une des infractions les plus graves, et en même temps l’une des moins rapportées à la police ou à la gendarmerie », relève Christophe Soullez, directeur de l’ONDRP. Seule une victime interrogée sur cinq s’est rendue à la police ou à la gendarmerie, 13 % ont porté plainte, 4 % ont déposé une main courante, et 2 % sont reparties sans effectuer aucune des deux démarches, soit 1 personne qui s’est déplacée sur 10.
Hésitation, découragement, refus de prendre la plainte de la part des forces de l’ordre ? L’enquête ne donne pas de réponse pour l’instant à cette question sensible (une deuxième phase d’exploitation des réponses détaillées est prévue).
Il reste que 4 victimes sur 5 n’ont pas tenté la démarche. Pour 62 % d’entre elles, il s’agit « d’éviter des épreuves supplémentaires ». « Après un viol, les victimes sont sidérées et ne se sentent pas en mesure d’aller porter plainte, commente Mme Ronai. Elles redoutent de ne pas être crues, d’être mal accueillies. Il faut leur donner confiance. »
Les personnes interrogées qui ont déposé une plainte ou une main courante portent un jugement plutôt positif sur l’expérience, puisque 79 % sont satisfaites du temps et de l’écoute qui leur ont été accordés, et 80 % le sont des conditions de confidentialité. Les deux tiers sont satisfaits des conseils donnés par la police ou la gendarmerie.
Un effort de formation des professionnels amenés à prendre en charge des victimes de violences sexuelles et conjugales a été effectué ces dernières années, afin d’améliorer la connaissance des mécanismes de la violence et de l’emprise intrafamiliale. Environ 260 intervenants spécialisés (psychologues, travailleurs sociaux) sont présents dans les commissariats. « C’est encore insuffisant mais le chiffre est en augmentation », constate Mme Ronai.
La honte et la culpabilité
Les deux tiers des victimes craignent en outre que cela ne serve à rien. « Le viol est l’une des infractions les plus difficiles à élucider en matière judiciaire », observe M. Soullez. L’amélioration du recueil des preuves matérielles fait partie des pistes identifiées par les pouvoirs publics pour augmenter le nombre de poursuites.
Aujourd’hui, la victime doit d’abord passer par le commissariat, avant d’être orientée vers une unité médico-judiciaire, où des échantillons de sperme pourront être prélevés et d’éventuelles blessures constatées, alors que le réflexe des victimes est plutôt de se diriger vers les urgences ou de consulter un médecin. « Nous réfléchissons avec le ministère de la santé aux moyens de recueillir et conserver les preuves même en l’absence de plainte, afin de pouvoir les produire quand la démarche aura été effectuée », poursuit Mme Ronai.
L’enquête de l’ONDRP montre également que la honte et la culpabilité continuent à peser. Près d’une victime sur cinq n’a jamais parlé de ce qu’elle a subi à personne. Parmi celles qui n’ont pas saisi les forces de l’ordre, 31 % estiment que les faits ne sont « pas graves ».
Les victimes s’en remettent également à d’autres interlocuteurs : 21 % en ont parlé à un médecin, 29 % à un psychiatre ou un psychologue, 9 % à une association, 16 % aux services sociaux, et surtout 63 % à leur entourage.
Celles qui portent plainte ont davantage tendance à en parler à des proches ou à une autre personne. Seules 12 % des personnes interrogées avaient eu recours à un numéro vert (viols femmes information 0800-05-95-95, en soirée 3919). « Il est impératif de poursuivre les efforts pour faire connaître ces numéros, affirme Mme Ronai. Ils permettent d’orienter les victimes et de les aider à trouver de l’aide pour leur prise en charge médicale. »