Micheline Adobati, trait d’union entre la justice et les personnes dans la précarité
Micheline Adobati, trait d’union entre la justice et les personnes dans la précarité
Micheline Adobati est une « tiers-taisante », un relais entre les personnes précarisées et les institutions. Elle puise dans sa propre expérience pour aider ses voisins les plus démunis et leur permettre un accès effectif au droit.
A 59 ans, Micheline Adobati vit dans ce qu’elle nomme elle-même « un quartier sensible » de Nancy. Depuis plus d’une vingtaine d’années, bénévolement, elle aide des habitants de son quartier : de la paperasse administrative à l’accompagnement dans les démarches. Son rôle : « Accompagner les personnes chez le juge ou chez les travailleurs sociaux. On est là, on écoute, puis une fois sortis, on traduit avec des mots qui seront compris ».
Egalement militante du mouvement ATD Quart monde, Micheline Adobati est ce que le mouvement appelle une « tiers-taisante ». Une personne sans statut officiel, qui fait l’intermédiaire entre les institutions et des personnes marginalisées ou précarisées. La voix posée et éraillée, elle précise qu’en ce qui concerne sa présence aux entretiens, « c’est au bon vouloir des institutions. On ne sait jamais si on pourra y assister ou non ».
Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Micheline Adobati a toujours aimé aider les autres. Mais c’est sa propre expérience de la précarité qui a amplifié cette volonté : « On n’ose pas toujours demander, on a honte. J’ai moi-même traversé pas mal de galères et à cette époque je ne savais plus vers qui me tourner. »
Forte demande d’accompagnement
Dans la droite lignée de son engagement personnel, il y a vingt ans, accompagnée d’une amie, elle a créé une association dans son quartier. Un investissement « naturel » pour cette femme de cœur. L’association n’existe plus aujourd’hui, mais les liens de confiance avec les voisins, eux, sont restés. Pour preuve, elle est souvent sollicitée spontanément. « Etant donné qu’on est des voisins, on n’a pas d’étiquette. Parce que l’étiquette, c’est à double tranchant. Là, les gens se sentent en confiance : on n’attend rien en retour. On les aide, c’est tout ! Je ne suis pas là pour les juger, c’est leur histoire. »
Les profils des personnes accompagnées sont très variés. Si Micheline Adobati a soutenu beaucoup de demandeurs d’asile dans leurs démarches, il n’est pas possible pour autant d’établir un profil type. Toute personne peut devenir vulnérable à un moment donné. A l’image de cette femme dont l’époux était incarcéré, qui ne savait pas comment faire une demande de permis de visite : « J’avais vécu moi-même cette situation par le passé. Mon expérience m’a permis de l’aider. Ce sont des petites choses qui libèrent. »
Cette forte demande d’accompagnement au sein du quartier n’est pas toujours bien accueillie par les institutions, judiciaires notamment. « Avant, je refusais presque systématiquement qu’une tierce personne assiste aux entretiens », confie Anne Kiriakides, juge des enfants depuis une quinzaine d’années. A l’occasion d’une formation coorganisée par l’Ecole Nationale de la Magistrature et l’association ATD Quart monde en 2014, cette magistrate est confrontée au ressenti de personnes ayant eu l’expérience de la grande pauvreté et qui ne se sentaient pas considérées dans leurs rapports avec la justice.
Fossé entre institutions et populations fragilisées
« Je leur ai demandé : “Si je vous reçois dans mon bureau et que je vous dis que je suis à votre écoute, me croirez-vous ?” Elles m’ont répondu non », raconte Anne Kiriakides dans un compte rendu rédigé par l’association ATD Quart monde. La dureté des réponses et leur caractère unanime ont poussé la juge à remettre en question ses pratiques.
« Dorénavant, je prends d’abord un temps avec la personne. Je cherche à savoir qui est le tiers qui l’accompagne, quelle importance il a dans sa vie. Je comprends que les gens aient besoin d’être rassurés et accompagnés, mais il faut aussi être vigilant. Veiller à ce que cette personne ne soit pas sous emprise, à ce que cette décision d’être accompagnée soit prise de son propre gré. » La démarche d’Anne Kirikiades n’est pas majoritaire dans le monde judiciaire, du moins en droit de la famille : manque de temps, de moyens, mais aussi habitudes ancrées bloquent bien souvent l’accès à un accompagnement par un tiers autre qu’un avocat.
Le recours à un tiers-taisant révèle par ailleurs la carence de l’Etat, qui ne parvient pas à réduire le fossé entre les institutions et les populations les plus fragilisées. Derrière cette pratique se cache un combat bien plus large : celui de « l’accès aux droits » effectifs, rappelle Micheline. « On connaît ce sentiment de désarroi : penser au pire, à l’extrême… », confie la bénévole. Aider exige un investissement sans faille et une forte disponibilité. Mais la quinquagénaire préfère retenir l’aspect positif de son engagement.
Elle évoque, joyeuse, l’histoire d’un enfant de huit ans, d’origine kosovare, dont les parents, sans papiers, n’étaient pas en capacité de signer des documents : « Il y a tellement de satisfaction quand on voit le sourire de cet enfant qui a pu aller à l’école après trois semaines de forcing. Il n’arrêtait pas de me demander quand il pourrait aller à l’école. On s’est cotisés dans le quartier pour lui acheter un cartable. Le jour J, le gamin était fier… C’est la plus belle des récompenses. »
Alors les tiers-taisants, des relais nécessaires ? A en croire la bénévole, « cet accompagnement permet à chacun de prendre ses décisions en connaissance de cause ». Finalement, l’idée d’une reconnaissance d’un statut de tiers-taisant commence à émerger dans la société. « On aurait plus de légitimité et de reconnaissance, affirme Micheline. Chaque personne qui en ressentirait le besoin pourrait être sûre d’être accompagnée. » Une manière de réconcilier celles et ceux qui ne se sentent plus ni vus ni entendus par les institutions de la République.
Assa Diarra, Reporter citoyen
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