Au Bénin, l’interdiction des prières de rue fait polémique
Au Bénin, l’interdiction des prières de rue fait polémique
Par Olivier de Souza (contributeur Le Monde Afrique, Cotonou)
La faible capacité des mosquées de Cotonou contraint les fidèles musulmans à prier hors des lieux de culte.
Urbanisme et religion ne font pas toujours bon ménage. Les autorités béninoises avaient ordonné le déguerpissement, avant le 31 décembre 2016, des petits commerces et restaurants qui encombraient les rues. Alors que des affrontements ou des mouvements de colère pouvaient être redoutés, la population s’est pliée, bon gré mal gré, à la mesure. Mais, c’est le second volet de cette décision, interdisant les manifestations religieuses dans la rue, qui a suscité une vague d’indignation, essentiellement au sein de la communauté musulmane.
En effet, la faible capacité des mosquées de la ville de Cotonou contraint les fidèles musulmans à prier hors des lieux de culte. Pour cela, le vendredi, jour de la grande prière, des artères de la capitale économique du Bénin sont souvent prises d’assaut et bloquées à la circulation.
« Le gouvernement considère que nos rues ne peuvent plus être exposées à l’expression de la foi, quelles que soient les religions », a justifié dans une émission télévisée le ministre de la justice, Joseph Djogbénou.
Cette phase du projet, destiné officiellement à embellir et assainir l’espace public, était passée presque inaperçu. Jusqu’au jour où le génie militaire a entrepris, le 27 janvier, de détruire des bâches utilisées pour se protéger du soleil par les prieurs dans une rue du quartier Cadjèhoun.
Attiser le feu
Le député Issa Salifou, également propriétaire du groupe de presse Fraternité et candidat à la dernière élection présidentielle, n’a pas tardé à laisser exploser sa colère. « Il faut aller dire au préfet Toboula [qui a conduit l’opération] que les gens ont commencé à faire la prière ici à Cotonou avant sa naissance et avant même la naissance de son père », a-t-il lancé devant les caméras des chaînes de télévision locales. L’opinion publique se saisit de la polémique. Certains reprochent à l’élu d’attiser le feu alors que d’autres le soutiennent activement. « Nous allons continuer à prier à Cadjèhoun. Que Toboula revienne vendredi prochain nous chasser, nous l’attendons », menace un intervenant sur une émission de radio.
Les différents chefs religieux du Bénin reconnaissent la légitimité de la décision mais fustigent la méthode. « Nos frères musulmans ont été humiliés, il fallait dialoguer avant », affirme le père Julien Penoukoun, de l’Observatoire chrétien catholique de la gouvernance, dans un entretien à La Croix. Vendredi 3 février, une foule compacte se rend à la prière à Cadjèhoun. Sans heurt.
Reçus le lendemain par le président de la République, une cinquantaine de chefs religieux musulmans tentent d’obtenir une dérogation. Patrice Talon reste ferme et leur rétorque que son objectif n’est pas de s’en prendre à l’islam, mais de rendre la ville plus attrayante. « Si nous faisons des prières de rue un acquis, nous n’aurons pas fait du bien à l’islam », juge ainsi le chef de l’Etat. Puis d’expliquer que, même en Algérie, la prière est interdite sur les trottoirs et dans les espaces qui jouxtent les mosquées. Il promet cependant des mesures d’accompagnement qui devraient aboutir à la construction de nouvelles mosquées ou à l’agrandissement de celles déjà existantes.
« Aucune violation des libertés individuelles »
Au terme de la rencontre, les responsables religieux se disent satisfaits des échanges et exhortent les fidèles au calme. En attendant de trouver des solutions, le ministre de l’intérieur, Sacca Lafia, fait savoir que les prières seront tolérées dans les prochaines semaines.
Vendredi 10 février, aux abords de la mosquée centrale de Cotonou, les avis étaient partagés entre ceux qui, comme Karim, un informaticien de 34 ans, considèrent que le pouvoir « tente de distraire l’opinion avec des problèmes qui n’en valent pas la peine » et ceux qui, comme Moussiliou, la cinquantaine, ne voient là « aucune violation des libertés individuelles ».
Circonspecte, Nima, une assistante de direction de 29 ans, confie : « Au départ, je me suis sentie blessée. La prière du vendredi est l’un des rites les plus importants en islam. Y toucher aussi brutalement est tout simplement criminel. Heureusement que le président est revenu à de meilleurs sentiments. Maintenant, nous allons l’observer et attendre qu’il fasse construire des mosquées. Autrement, cette décision ne servira à rien. »