Au Bouffes du Nord, Barbara s’est tue, Depardieu chante
Au Bouffes du Nord, Barbara s’est tue, Depardieu chante
Par Sylvain Siclier
Depuis le 9 février et jusqu’au 18, l’acteur interprète à Paris un album préparé et enregistré dans la maison de la chanteuse. Et fait salle comble.
Du 21 janvier au 19 février 1986, sur la scène du Zénith de Paris, ouvert deux ans plus tôt, Barbara, idole d’un public fervent, et Gérard Depardieu, devenu en quelques années l’un des acteurs préférés du cinéma français, ont présenté Lily Passion. Surtitré « il tue, elle chante », comme pour en résumer l’histoire. Avec des chansons conçues par Barbara pour le spectacle, dont certaines avec le parolier québécois Luc Plamondon, des monologues et dialogues. « Tout passe par les sensations d’une chanteuse et d’un comédien qui jouent la vie et la déraison », écrit Claude Fléouter dans Le Monde du 31 janvier 1986. L’article est titré « Un rendez-vous d’amour ».
Trente et un ans plus tard, les deux noms sont à nouveau réunis. Pour Depardieu chante Barbara, disque produit vendredi 10 février par Because Music et spectacle présenté aux Bouffes du Nord, à Paris, du 9 au 18 février, dont toutes les dates sont complètes. L’entrée dans « l’année Barbara », morte le 24 novembre 1997, est déjà un succès. Avec le pianiste Gérard Daguerre, l’acteur a préparé puis enregistré dans la maison de Barbara, à Précy-sur-Marne (Seine-et-Marne), le répertoire de l’album.
Soit un instrumental (Précy prélude) et treize chansons (pour la plupart des classiques), certaines avec l’apport d’un quatuor à cordes, d’un accordéon, de percussions. En murmures et élans, dans des croisements parlé-chanté, Depardieu interprète les mots de Barbara. Daguerre, qui l’accompagna à partir de 1980, rappelle la force, l’expressivité de ses mélodies. L’intention s’entend : un autre rendez-vous d’amour, cette fois dédié à la chanteuse.
En retrait, plutôt avec sobriété
Aux Bouffes du Nord, il n’y a que les deux Gérard dans le halo de lumières blanches qui occupent le demi-cercle au sol servant de scène. Seul effet, durant L’Aigle noir, leurs ombres chinoises agrandies sur le mur du fond de la salle et une lumière rouge. Le disque est interprété, pas dans le même ordre, avec quelques chansons qui n’y figurent pas (Ô mes théâtres et Emmène-moi, venues de Lily Passion, Marienbad, Perlimpinpin…).
D’une chanson à l’autre, Depardieu dit des mots de Barbara, pendant que Daguerre joue – des regards et sourires traduisent une complicité. « Puisque je suis mystérieuse, autant le faire avec classe », « j’aimais mieux m’ennuyer seule que m’ennuyer à deux, ou à plusieurs », « on est étrange quand on est différent ». A l’occasion, Depardieu fait siens ces mots. Lorsqu’il dit « chanter c’est mon poison et ma médecine »,chanter pourrait être remplacé par jouer.
Par des gestes des mains, des avancées du corps, il accompagne les textes des chansons. Plutôt avec sobriété. Debout, à côté du piano, parfois assis, c’est lorsque la part de l’acteur est en retrait, quand il est plus dans la douceur, dans la fêlure de la voix, dans le souffle, une retenue d’expression, qu’il est le plus émouvant. Comme lors de Marienbad, Drouot, La Solitude (parfaite) ou A force de (écrite pour le dernier album de Barbara par Guillaume Depardieu, le fils de l’acteur, mort en 2008), beau moment de fragilité. Il y aura trois rappels. Pour faire chanter le public avec trois chansons déjà interprétées. C’était inutile.