Incertitude sur l’avenir du camp de migrants de Grande-Synthe
Incertitude sur l’avenir du camp de migrants de Grande-Synthe
Par Maryline Baumard
Ouvert il y a près d’un an dans la banlieue de Dunkerque (Nord), le lieu est surpeuplé, vétuste et connaît des violences.
Le camp de la Linière, à Grande-Synthe, le 17 janvier. | LUCIE PASTUREAU POUR «LE MONDE»
C’est avec des conditions d’accueil dégradées et un avenir incertain que le camp de migrants de Grande-Synthe (Nord) s’apprête à souffler sa première bougie. Mardi 14 février, Damien Carême, maire de cette ville de la banlieue de Dunkerque, posait sur la table de la préfecture la liste de ses requêtes pour que ce premier camp humanitaire de France, qu’il a ouvert sur sa commune le 7 mars 2016, entre plus sereinement dans sa deuxième année.
Quelques jours auparavant, un journal britannique, The Guardian, avait fait état de violences et de viols entre les cabanons de ce lieu où s’arrêtent des migrants en route vers Londres. Un constat jugé difficile à confirmer ou à infirmer par plusieurs ONG présentes sur place, qui reconnaissent néanmoins que les tensions s’y sont exacerbées, que la violence y a pris ses quartiers.
Autour du camp, le paysage a bien changé en un an. Paris a ouvert un camp humanitaire de transit, en novembre 2016. Quelques semaines auparavant, la « jungle » de Calais, à 40 km de Grande-Synthe, avait été démantelée, entraînant le repli de plusieurs centaines de migrants vers ce seul hébergement pour adulte toléré dans les Hauts-de-France. « Aujourd’hui, nous accueillons 1 450 personnes dans un espace prévu pour bien moins de monde, car à l’automne j’avais fait démonter des cabanons », précise Damien Carême, qui s’était engagé auprès de l’Etat à détruire les abris au fur et à mesure des départs.
« La surpopulation, comme la vétusté des cabanons, font que ce camp qui était aux normes internationales à son ouverture ne l’est plus vraiment aujourd’hui », regrette Amin Trouvé Baghdouche, le coordinateur général de Médecins du monde sur le littoral Nord-Pas-de-Calais.
Damien Carême, qui avait obtenu de haute lutte le financement du fonctionnement du camp (4 millions d’euros), souhaite que l’Etat y installe « des nouveaux abris, plus pérennes ; plus adaptés au climat et aux familles ». Cet hiver, il a dû faire face à 29 intoxications au CO2 à cause des chauffages défectueux et des calfeutrages amateurs. « Il nous faut un autre système de chauffage et des abris mieux isolés », a demandé le maire aux autorités préfectorales. La ville souhaite aussi que l’Etat recommence à sortir du camp les migrants qui souhaitent demander l’asile en France. « Ils sont 200 à vouloir partir en centre d’accueil et d’orientation mais aucun n’a été évacué depuis le démantèlement de Calais », regrette-t-on à la mairie. Les places libres sont prioritairement données aux sortants du camp de transit de Paris.
De son côté, l’association Gynécologie sans frontières reconnaît que certaines femmes sont effectivement victimes de violences. « Mais nous ne menons pas l’enquête pour savoir si ces viols ont lieu lors des tentatives de passages en Grande-Bretagne, lorsque les femmes reviennent ensuite vers le camp, ou si cela se passe à l’intérieur », rappelle Richard Mathis, le vice-président de cette ONG, présente dans le camp depuis 2015. Les violences conjugales sont aussi évoquées par ce praticien, au point que son ONG a aménagé un appartement permettant de mettre ponctuellement en sécurité des victimes.
La sécurité des femmes en jeu
« Depuis que l’Etat a choisi de fermer le centre dédié aux femmes près de la “jungle” de Calais, il manque un lieu pour les protéger », observe le médecin, pour qui « ce serait une grave erreur de plaider le démantèlement de Grande-Synthe, puisque les femmes y sont plus en sécurité que dehors ». Une proposition qui n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour, selon les informations délivrées mardi 14 février à l’équipe municipale.
Comme le souligne Amin Trouvé Baghdouche, « même en étant présents plusieurs jours sur le camp, nous avons du mal à faire la part des choses entre la rumeur et les faits avérés ». Un flou que les migrants subissent aussi et qui incite nombre de femmes à demander aux ONG une protection pour la nuit qui leur évitera de rejoindre les sanitaires dans l’obscurité. « La tension a monté, c’est sûr, regrette M. Carême, mais les gens sont là depuis longtemps, ils sont fatigués, exaspérés. »
Dans ce camp longtemps dévolu aux seuls Kurdes, des Afghans sont arrivés et dernièrement des Syriens. Les passeurs, Kurdes, ont dû céder un morceau de leur territoire d’influence ; ce qui, selon plusieurs sources, a aussi contribué à rompre l’équilibre précaire sur lequel tenait le lieu.
A Grande-Synthe, le trajet quotidien des enfants, du camp à l’école