TV : « Soundbreaking », une odyssée du son
TV : « Soundbreaking », une odyssée du son
Par Bruno Lesprit
Notre choix du soir. De Caruso au numérique, une ample plongée dans l’histoire de la musique enregistrée, parsemée de quelques fausses notes (sur Arte à 22 h 25).
Soundbreaking Trailer
Durée : 02:26
C’est une belle, noble et ambitieuse idée de documentaire : raconter en six parties et plus de cinq heures la saga de la musique enregistrée, des premiers acétates de Caruso au début du XXe siècle à la révolution numérique. Maro Chermayeff, Romain Pieri et Christine Le Goff n’ont pas ménagé leurs efforts, collectant une masse de témoignages d’intérêt inégal, de musiciens, producteurs, techniciens, historiens ou spécialistes. Le découpage thématique de ce Soundbreaking – jeu de mots forgé à partir de groundbreaking, « novateur » – est séduisant : à l’électrification des instruments (guitare, puis avènement du synthétiseur) succèdent des chapitres consacrés au studio, au métier de producteur, à la captation de la voix, aux supports (du 78-tours au MP3), enfin aux samples. Jean-Michel Jarre rappelant à raison que, dans ce domaine, les innovations technologiques ont toujours précédé les révolutions artistiques.
Captivants, les trois premiers volets permettent de (re)découvrir des héros oubliés de cette aventure. Ainsi du jazzman Charlie Christian, père de tout guitariste électrique, de Les Paul, qui n’a pas seulement donné son nom à un modèle de la marque Gibson, mais reste comme un pionnier du multipiste, de l’ingénieur Robert Moog, inventeur du synthé, ou du tandem d’électroniciens fous formé par Malcolm Cecil et Robert Margouleff.
Soundbreaking: Stevie Wonder
Durée : 03:59
Une tendance de fond se dessine, la démocratisation de la création musicale. Avec les outils mis à sa disposition par l’électronique puis l’informatique, le musicien, qui peut travailler dans son home-studio comme dans un atelier, se transforme en « peintre du son », selon la juste formule de Brian Eno, le sampler (ou échantillonneur) représentant le stade suprême de ce processus. Sans donner la parole aux adversaires de cette pratique – qui font intervenir leurs avocats –, le documentaire prend parti en faveur de la liberté de création. Le rappeur Akhenaton rappelant avec humour que son groupe IAM s’était heurté à un refus du compositeur américain John Williams pour l’utilisation de la Marche impériale de La Guerre des étoiles, œuvre qui s’inspire largement de la Marche funèbre de Chopin…
Pour s’être livrés à des expériences révolutionnaires en studio après l’arrêt de leurs tournées en 1966 et avoir fait passer dans la musique pop le langage de la musique concrète, les Beatles occupent une place centrale dans cette saga. Ce qui donne une passionnante analyse de l’enregistrement fondateur de Tomorrow Never Knows, dont le bourdon continu et les boucles préfigurent la techno, un moment qui « oblige à repenser ce qu’est la musique », affirme le producteur Rick Rubin. Mais le génie de Lennon et McCartney n’est pas seul à expliquer leur omniprésence dans la série : celle-ci a été réalisée en association avec leur producteur, George Martin…
George Martin et The Beatles en studio en 1967. | © APPLE CORPS LTD.
Soundbreaking n’est pas exempt de défauts. Les auteurs ont profité de l’accès aux musiciens pour les faire réagir sur des sujets sans rapport évident avec eux-mêmes – pour quelle raison Roger Waters (de Pink Floyd) évoque-t-il Bessie Smith ? Le récit passe parfois du coq à l’âne, glissant brutalement de Christina Aguilera à Kurt Cobain, par exemple. Le chapitre sur les chanteurs est d’ailleurs le moins réussi, avec des propos (sur l’émotion et l’authenticité de la voix) si banals qu’on croirait entendre des conseils de coachs de l’émission « The Voice ».
Soundbreaking, de Maro Chermayeff, Romain Pieri et Christine Le Goff (Fr., 2016, ép. 3 et 4/6).