Une architecture à palabres au cœur de Hyde Park
Une architecture à palabres au cœur de Hyde Park
Par Jean-Jacques Larrochelle
Le Burkinabé Diébédo Francis Kéré a été choisi pour réaliser le pavillon éphémère de la Serpentine Gallery de Londres.
Un arbre à palabres pour s’abriter (aussi) de la pluie. L’architecte burkinabé, naturalisé allemand, Diébédo Francis Kéré, va réaliser le pavillon temporaire qui sera installé du 23 juin au 8 octobre dans les jardins de la Serpentine Gallery à Londres. À la fois parasol et corolle, la fine construction d’acier et de bois va se déployer sur l’azur, mais pas seulement. Son toit en forme d’entonoir, qui abrite l’espace de rencontre bordé par des cloisons de bois bleu outremer ajourées, peut récupérer en son centre l’eau pluviale. Pour l’agréable spectacle de sa chute, mais aussi pour un arrosage ultérieur des pelouses alentour.
L’institution londonienne, logée au cœur de Hyde Park, est sensible aux problématiques architecturales dans ses propres espaces d’exposition d’art contemporain. En 2000, elle a décidé de créer un prix. Chaque année, une commission ad hoc choisit un(e) architecte ou une équipe de réputation internationale n’ayant jamais construit à Londres, pour concevoir un pavillon éphémère installé devant la Gallery et destiné à accueillir des manifestations publiques. Maître mot : expérimentation. Au fil des années, l’événement estival a fini par jouir d’une solide notoriété pendant la saison culturelle à Londres. « Le premier et le plus ambitieux programme architectural de ce genre dans le monde », affirment même ses promoteurs.
Diébédo Francis Kéré a été choisi par le directeur artistique de la Serpentine Gallery, Hans Ulrich Obrist, et la nouvelle directrice générale des lieux nommée en avril 2016, Yana Peel. Ils ont tous deux été conseillés par les architectes britanniques, David Adjaye, d’origine tanzanienne, et le Pritzker Price 2007, Richard Rogers. Depuis dix-sept ans, pas moins de douze lauréats de ce prestigieux prix, considéré comme le Nobel de l’architecture (Zaha Hadid, Daniel Libeskind, Oscar Niemeyer, Alvaro Siza, Rem Koolhaas, Frank Gehry, Jean Nouvel, Peter Zumthor…) ont précédé sur la pelouse des jardins de Kensington Diébédo Francis Kéré, premier architecte africain à emporter le prix.
Déjà salué par de nombreuses expositions, il est une figure importante de cette communauté de maîtres d’œuvre qui associent fine maîtrise technique et pratiques constructives vernaculaires. Il a obtenu de nombreuses distinctions : le Prix Aga Khan d’architecture en 2004, le Global award for sustainable architecture en 2009, le Marcus Price for architecture en 2011, et le Global Holcim award en 2012.
Depuis qu’il est enfant, Diébédo Francis Kéré est animé d’un rêve quasi prométhéen pour Gando, un bourg de 5 000 habitants situé à 200 km de Ouagadougou où il est né il y a 51 ans, et dont son père est le chef : construire une école. Adolescent, il apprend le métier de charpentier, puis grâce à une bourse, part à Berlin où il devient architecte en 2004. Il n’a pas pour autant oublié Gando. Dès 1999, soit avant la fin de ses études, il commence à se lancer dans le projet. Il adapte sur place les savoir-faire qu’il acquiert au fur et à mesure à Berlin où il installera son agence en 2009.
A l’intérieur du Centre de santé et de promotion sociale à Laongo au Burkina Faso. | KÉRÉ ARCHITECTURE
Dans son village natal, il crée une mini-filière de production de terre crue, forme des maçons et des charpentiers. Selon les saisons, les auvents de tôle ondulée, suspendus sur de subtils treillis de fers à béton, abritent de la pluie ou ventilent les salles de classe. Sans crier gare, ces systèmes constructifs ingénieux composent une partition esthétique.
Non sans réticence au départ, Gando est conquis. D’autant que chacune et chacun ici a mis la main à la pâte. Pendant le chantier, la population a acquis des techniques de construction, de conservation et d’entretien qu’elle pourra ensuite reproduire. « Le sens de l’ouverture est fondamental dans mon architecture », affirme Diébédo Francis Kéré.
« Microcosmos »
Un collège naîtra plus tard à Dano, un centre de santé à Laongo. Puis, tout près de la grande Mosquée de Mopti au Mali, le Centre pour l’Architecture en Terre. D’autres réalisations suivront, en Inde, au Yemen et en Suisse où il a travaillé sur le Musée de la Croix et du Croissant Rouge à Genève. Parmi ses projets : le bâtiment de l’assemblée nationale du Burkina Faso et la salle satellite du Volksbühne Theater de Berlin que la compagnie veut installer dans l’aéroport de Tempelhof.
Le projet de Diébédo Francis Kéré à Londres, conçu selon ses termes comme un « microcosmos », fait référence à un élément important dans ses projets au Burkina : le manguier dont les fruits sont source de nourriture et renforcent le système immunitaire. Mais qui aussi, par fortes chaleurs, dispense son ombre. Arbre à palabres, de « rencontre » et « de vie », a souligné la Serpentine Gallery dans un communiqué. « Je souhaitais que ma contribution (…) améliore non seulement le rapport à la nature des visiteurs, a déclaré l’architecte, mais donne aux gens de nouvelles manières d’interagir. »