Philippe Petitcolin le directeur général de Safran,  Ross McInnes, président de son conseil d’administration, Didier Domange, président du conseille de surveillance de Zodiac Aerospace et Olivier Zarrouati, président du directoire de  Zodiac Aerospace (de gauche à droite), lors d’une conférence presse à Paris, le 19 janvier. | ERIC PIERMONT / AFP

La bagarre ne fait que commencer. Safran a publié, jeudi 23 février, à l’issue de son conseil d’administration, une lettre rédigée par son président, Ross McInnes, destinée au fonds activiste britannique TCI (The Children’s Investment Fund), opposé au rachat de Zodiac par l’équipementier aéronautique annoncé le 19 janvier. « Ce projet a une dimension stratégique claire », écrit M. McInnes.

Dès le 14 février, le fonds qui s’est fait connaître en poussant en 2007 la banque néerlandaise ABN Amro à se vendre, avait écrit à l’industriel français dont il détient 4 % du capital pour affirmer sa « ferme opposition à l’acquisition de Zodiac ». « C’est un mauvais deal, au mauvais prix, avec la mauvaise structure », martèle Jonathan Amouyal, associé chez TCI, soulignant que d’autres investisseurs comme Lone Pine, Third Point ou Egerton, partagent cette vision.

Nombre d’analystes financiers, en fait, se montrent sceptiques sur cette transaction de quelque 10 milliards d’euros. La direction de Safran s’est donc employée à répondre point par point aux critiques. D’abord sur la stratégie, en insistant sur l’intérêt de rapprocher les moteurs fabriqués par Safran avec les fauteuils assemblés par Zodiac.

Diversité des activités de Zodiac

« Il n’y a pas de synergies produites entre les sièges et les moteurs, mais les deux entreprises sont très proches, complémentaires. Elles s’adressent aux mêmes clients, aux mêmes avionneurs, utilisent les mêmes produits et leurs productions exigent les mêmes cycles de développement et les mêmes certifications », assure Philippe Petitcolin, le directeur général de Safran. Le motoriste se félicite de la diversité des activités de Zodiac dont 39 % du chiffre d’affaires sont tirés de la production d’aérosystèmes, tels que des toboggans d’évacuation d’urgence ou des toilettes d’avions.

Pas facile de convaincre, cependant, quand le marché a toujours en travers de la gorge le mariage entre la Snecma et la Sagem, ayant donné naissance à Safran en 2005, « qui a entraîné une sous-performance significative du cours de Bourse », rappellent les analystes de JPMorgan.

La diversification du motoriste dans la sécurité, pour créer Morpho, avait ensuite été peu goûtée par les financiers, mais elle s’est traduite lors de la cession de cette activité par une « plus-value substantielle », rappelle M. McInnes. Et de souligner que Safran a doublé le prix auquel il a vendu sa participation dans Ingenico en ne suivant pas les conseils de TCI en 2012…

Le prix est jugé très élevé

Autre inquiétude, le fait que le rachat de Zodiac intervienne au moment où Safran joue déjà gros sur son moteur du futur. L’équipementier doit, en effet, gérer la montée en cadence de la production de Leap afin de suivre le tempo fixé par Airbus et Boeing. « Nous pouvons mener en parallèle plusieurs grands projets », le lancement du Leap et la relance de Zodiac, se défend le directeur général de Safran. D’autant qu’« en 2018, quand débutera l’intégration de Zodiac, le gros de la mise en œuvre du Leap sera derrière nous ».

Le prix, en outre, est jugé très élevé, compte tenu des déboires de Zodiac. L’équipementier peine à sortir de ses errements industriels qui l’ont conduit à livrer en retard ses clients. Pour TCI, l’action Zodiac vaudrait 20 euros, nettement moins que les 29,5 euros envisagés par Safran, qui parie sur le redressement de son futur partenaire. L’acquéreur assure avoir « toutes les qualités et les ressources » pour amener Zodiac à la « maturité industrielle ».

Si les financiers restent obsédés par les dix avertissements sur ses résultats publiés par Zodiac depuis deux ans, Safran préfère souligner que le fournisseur vient de signer des lettres d’intention pour des commandes record de sièges, émanant selon des proches du dossier, d’Emirates.

Acrobatie financière

Dernier élément pointé du doigt, la structure complexe de l’opération, composée dans un premier temps d’une offre publique d’achat (OPA) – à laquelle les grands actionnaires de Zodiac n’apporteront pas leurs titres –, puis d’une fusion. TCI y voit une acrobatie financière pour permettre à la famille actionnaire de référence de Zodiac de conserver ses avantages fiscaux liés au pacte Dutreil. De quoi léser les autres ? « Je ne vois pas d’inégalité de traitement entre les grands actionnaires et les minoritaires de Zodiac car tout actionnaire peut choisir de conserver ses titres pour attendre la fusion », prévient Olivier Diaz, associé du cabinet d’avocats Skadden.

TCI demande ensuite à Safran de consulter ses actionnaires avant le lancement de l’OPA. Mais le groupe n’en a pas l’intention. « En droit français, tant qu’un rachat est payé en cash, il n’y a pas d’obligation de saisir l’assemblée générale, poursuit M. Diaz. Un groupe de travail de l’Autorité des marchés financiers s’est penché sur ce sujet et a conclu que changer cette règle serait défavorable aux sociétés françaises. » « Il y a le droit, et il y a la morale, insiste M. Amouyal, si la France veut se positionner comme une alternative crédible au Brexit, elle va devoir mettre ses règles du jeu au standard international. »

Les bénéfices de Safran s’envolent de 21,7 %

Le motoriste Safran se frotte les mains. En 2016, il « a atteint, voire dépassé ses objectifs financiers », s’est félicité, vendredi 24 février, son directeur général, Philippe Petitcolin, à l’occasion de la publication des résultats annuels du groupe français. En 2016, les bénéfices ont progressé de 21,7 % pour atteindre 1,8 milliard d’euros. Sur la même période, le chiffre d’affaires a cru de 3,9 % pour s’établir à 15,8 milliards d’euros. Le motoriste peut voir l’avenir en rose. Son carnet de commandes, plein à craquer, est évalué à plus de 62 milliards d’euros, contre 59 milliards en 2015. Safran a enregistré les commandes de plus de 11 563 moteurs, notamment le Leap qui doit propulser les versions remotorisées de l’Airbus A320 et du Boeing 737.