En Inde, la folie des grandeurs et des statues
En Inde, la folie des grandeurs et des statues
Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
Après Gandhi ou Nehru, le chef guerrier Shivaji aura bientôt droit à son monument. Il sera deux fois plus haut que la statue de la Liberté.
Une sculpture de Shivaji. | I FOR DETAIL/FLICKR/CC BY 2.0
En Inde, l’Histoire s’écrit en construisant des statues. Il y a déjà celles, nombreuses, du Mahatma Gandhi, de Nehru ou du Dr Ambedkar, leader des intouchables et rédacteur de la Constitution. Le chef guerrier Shivaji aura bientôt droit à la sienne, et pas n’importe laquelle. Haute de 190 mètres – deux fois la statue de la Liberté, socle compris –, elle sera la plus élevée du monde.
Le monument de bronze aura les pieds posés sur une île artificielle de seize hectares, quatre kilomètres au large de Bombay. Les touristes pourront admirer la grandeur – historique – de Shivaji en empruntant des ascenseurs à l’intérieur de la statue. Ce complexe supplantera enfin la Gateway of India, porte monumentale construite en front de mer par les Britanniques à l’occasion de la visite du roi George V en 1911.
Le nouvel édifice coûtera un demi-milliard d’euros. Mais ni le coût élevé, ni les manifestations des milliers de pauvres pêcheurs de Bombay qui craignent la destruction des fonds marins ne font le poids face à Shivaji. Ce chef de guerre hindou est célèbre pour avoir arrêté l’avancée de l’empire musulman des Moghols au XVIIe siècle. Son exploit trouve aujourd’hui une résonance troublante, puisque c’est un gouvernement nationaliste hindou qui dirige une Inde où vivent près de 180 millions de musulmans.
Premier « self-made-man » indien
Autre coïncidence, Shivaji, un paysan devenu roi, est vénéré comme le premier « self-made-man » de l’Histoire, tout comme Narendra Modi, qui fut dans sa jeunesse vendeur de thé. En posant la première pierre de l’édifice, en décembre 2016, le premier ministre indien a expliqué que Shivaji était le « porte-flambeau de la bonne gouvernance ». Cette affirmation a laissé les historiens perplexes, d’autant plus que Shivaji a accédé au trône en payant cher les prêtres brahmanes pour qu’ils l’élèvent de la basse caste des Kunbi à celle des guerriers.
Les dirigeants indiens ont toujours construit des statues pour asseoir leur pouvoir. A peine élue à la tête de l’Uttar Pradesh (nord), en 1995, la « reine des intouchables » Mayawati en fit ériger à l’effigie du Dr Ambedkar dans tous les villages. Quelques mois après son élection, en 2014, M. Modi a ordonné la construction d’une statue de 182 mètres de Vallabhbhai Patel, le premier ministre de l’intérieur de l’Inde indépendante, admiré des nationalistes. Mais même les statues des grands patriotes indiens ont leurs faiblesses : celle de Vallabhbhai Patel sera achetée à une entreprise chinoise.