Au Mali, au Niger et au Tchad, 40 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance. Ces enfants ne consomment pas assez de nutriments. Leur organisme – le cerveau, les os, les muscles – ne reçoit pas suffisamment de vitamines (A, B2, B12…), de calcium, de fer et de zinc… En un mot, pas assez d’énergie pour grandir et se construire.

Beaucoup d’entre eux souffriront de maladies chroniques et auront des carences intellectuelles – donc seront peu ou pas scolarisés. Devenus adultes, ils n’ont que bien peu de chance d’être épanouis et – accessoirement – auront une productivité économique faible. Beaucoup également mourront très jeunes. Souvent avant l’âge de 5 ans.

Dans ces pays, la mortalité des enfants de moins de 5 ans est égale ou supérieure à 100 pour 1 000 : 10 fois plus qu’au Sri Lanka, 20 fois plus qu’au Canada, 50 fois plus qu’au Luxembourg. Pourquoi ces enfants meurent-ils ou sont-ils voués à un avenir désespérant ?

Les femmes n’ont aucune chance

Le Niger est de ce point de vue un triste cas d’école. Plus des trois quarts des filles y sont mariées avant d’avoir eu 18 ans (28 % avant 15 ans) ; 95 % de celles de moins de 24 ans sont analphabètes ; la moitié n’est jamais allée à l’école. Ceci explique pourquoi les enfants de ces femmes sont en si mauvais état. Tout est lié dans un terrible cercle vicieux d’extrême pauvreté, d’ignorance et de soumission.

Fécondité et scolarisation: le Niger au bas du classement

Au centre de ce cercle, les femmes – souvent elles-mêmes anémiées dès la plus tendre enfance, mariées beaucoup trop jeunes et soumises à des grossesses trop rapprochées – n’ont aucune chance. Leurs enfants non plus. Y compris les petites filles qui seront enceintes avant d’avoir fini de grandir et qui perpétueront le cercle.

Tout ceci est connu mais doit cependant être répété encore et encore. Jusqu’à ce que nous cessions de penser à autre chose après avoir lu les rapports d’experts et parcouru d’un œil froid les sordides tableaux statistiques qui les illustrent.

Quand le 8 mars tombe un 20 novembre

Nous sommes face à de graves problèmes de violation d’un grand nombre de droits humains fondamentaux. A commencer par ceux des enfants à ne pas être mariés de force, à ne pas être mutilés, à être éduqués. Le Mali, le Niger et le Tchad ont signé et ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant (1989). Cette convention a le mérite d’exister. Elle est lettre morte dans beaucoup d’endroits de la planète, dont le Sahel.

Même si la bataille est encore loin d’être gagnée, la lutte contre le travail des enfants a désormais droit de cité. On en parle. Tellement que de plus en plus de gouvernements et d’entreprises s’en soucient. Il est vrai que des intérêts commerciaux sont en jeu. Faire fabriquer des chaussures de sport par des enfants est désormais très mal vu par les consommateurs.

Les jeunes filles ouest-africaines se marient trop jeunes. | CSAO/OCDE

Mais quid des millions de petites filles interdites d’enfance et transformées en ventre soumis à l’âge où elles devraient apprendre à lire ? Sur quel levier pouvons-nous peser pour que cela cesse ? L’indignation ? Mais quel est le jour de l’indignation ? Le 8 mars qui est la journée internationale des droits des femmes ou le 20 novembre dédié à ceux des enfants ? Au Sahel – comme dans beaucoup d’autres endroits du monde – le 8 mars tombe chaque année un 20 novembre et vice-versa. Rassurons-nous donc, ce n’est pas à une journée internationale que ces petites filles maltraitées ont droit, mais à deux.

En cherchant bien, on pourrait d’ailleurs ajouter encore quelques jours : 6 février (journée mondiale contre les mutilations génitales), 4 juin (enfants victimes d’agressions), 8 septembre (alphabétisation), 15 octobre (femmes rurales), 25 novembre (violences faites aux femmes), etc. Il est malheureusement hors de propos de compléter cette liste par les journées mondiales du bonheur (20 mars) et des câlins (21 janvier). A quoi sert le bruit de nos indignations ?

Laurent Bossard est géographe et directeur du secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest à l’OCDE. Lire ici l’étude sur les enjeux alimentaires face aux défis démographiques, urbains, migratoires et sécuritaires. Et ici la carte sur les mutilations génitales féminines.

Mutilations génitales féminines en Afrique de l’Ouest

Le 8 mars sur Le Monde.fr

Pour mieux comprendre les problèmes anciens et récents de l’égalité hommes-femmes, Le Monde.fr vous propose d’échanger, au cours de la journée du 8 mars, avec des expertes :

  • 10 h 30 : « Harcèlement, violences : les droits des femmes sont-ils respectés en France ? » Discussion en direct sur Le Monde.fr avec Isabelle Steyer, avocate au barreau de Paris, spécialiste du droit des victimes et des violences conjugales.
  • 12 heures : « Quelles sont les raisons de l’écart des salaires entre hommes et femmes ? » Discussion en vidéo, par un Facebook Live, avec Séverine Lemière, économiste, professeure à l’université Paris-Descartes, spécialiste de l’égalité salariale.
  • 14 heures : « Dans l’espace public, filles et garçons sont-ils à égalité ? » Discussion avec Edith Maruéjouls, docteure en géographie, spécialiste de l’égalité dans la cour d’école, les loisirs des jeunes et l’espace public.

Nos journalistes à Paris et nos correspondants dans le monde suivront les mobilisations. Une « grève » des femmes à l’appel d’organisations féministes débutera officiellement à 15 h40. A Paris, un rassemblement organisé par des associations, des ONG et des syndicats est prévu place de la République à partir de 14 heures. Il sera suivi d’une marche jusqu’à l’opéra Garnier, à 17h30.

Vous pourrez également retrouver tous nos articles, cartes, tribunes et analyses sur des problématiques aussi diverses que l’éducation, la parité en politique ou le harcèlement sexuel au travail dans notre direct consacré à cette journée et à la « une » du Monde.fr.