Jeux vidéo : « L’architecture des “Zelda” nous ramène au stade de l’enfance »
Jeux vidéo : « L’architecture des “Zelda” nous ramène au stade de l’enfance »
Propos recueillis par William Audureau
Talbot Hook est l’auteur du site Architecture of Zelda, qui analyse la célèbre saga sous l’angle de son exploitation de l’espace. Sa force, selon lui ? Transformer le joueur en explorateur en culottes courtes.
Le temple du Temps, conçu en 1998 et repris dans « Breath of the Wild », s’inspire de monuments comme la basilique de Paray-le-Monial en France. | Nintendo
Talbot Hook est l’auteur du site (en anglais) The Architecture of Zelda, sur lequel il analyse en détail, depuis 4 ans, les bâtiments les plus marquants de la célèbre série de jeux d’aventure de Nintendo, remplie de châteaux, donjons, temples et villages. A l’occasion de la sortie le 3 mars de son dernier épisode en date, Breath of the Wild, Pixels l’a interrogé sur la place qu’occupe l’architecture dans la saga et ses inspirations.
Est-ce qu’il y a quelque chose de spécifique à l’architecture dans « Zelda » ?
Je ne suis pas catégorique, mais d’intuition je dirais non. En termes d’architecture, on peut trouver des chefs-d’œuvre de conception dans des jeux aussi divers que Skyrim, Journey ou Fable, des titres qui ont des structures et des paysages incroyables. Certes, Zelda vous pousse à interagir avec les lieux d’une manière très spécifique, ou crée une certaine émotion liée aux paysages, mais je ressens aussi cette même solitude, cette profondeur et cette beauté quand je joue à Metroid Prime.
L’ancien château d’Hyrule dans « Wind Waker ». | Nintendo
Ce qui distingue Zelda et en fait une série à part, c’est qu’elle laisse deviner bien plus qu’elle ne montre. Les concepteurs de jeux donnent rarement le contexte entier de chaque endroit, et nombre de ces lieux ne sont accompagnés d’aucun indice culturel, aucune histoire, aucun habitant ; ce sont de grands espaces, vides, qui attendent juste d’être explorés. Je pense que fondamentalement, j’aime cette série parce qu’elle se concentre sur le mystère, l’exploration, et l’inconnu. Beaucoup de jeux tentent de faire ça, mais la plupart échouent. Pas Zelda.
Y a-t-il des monuments réels, comme des châteaux ou des églises, dont Nintendo s’est plus ou moins ouvertement inspiré pour ses monuments dans le jeu ?
Oh oui ! J’irais presque jusqu’à dire que tous les endroits dans les Zelda sur console ont au moins une petite base réelle. Les premiers jeux de la série sont largement influencés par le médiévalisme occidental, dupliquant tout, des châteaux aux chevaliers. Ce n’est donc pas une surprise que le château d’Hyrule [centre récurrent de chaque aventure] s’inspire de forteresses d’Europe de l’Ouest, l’Alcazar en Espagne ou le Neuschwanstein en Allemagne par exemple, ou que le temple du Temps [un autre lieu majeur, qui fait souvent office de lieu initiatique pour le héros] montre de nombreuses similitudes avec plein de basiliques et cathédrales de villes européennes, comme l’église paroissiale de Saint-Jacques en Hongrie ou la basique de Paray-le-Monial en France.
Le château d’Hyrule d’« Ocarina of Time » s’inspire, entre autres, du château de Neuschwanstein en Allemagne. | Nintendo
Mais ce qui m’enthousiasme le plus, c’est que dans les titres plus récents, la saga explore la culture architecturale mondiale, puisant dans l’imagerie bouddhiste, la maçonnerie inca, ou les motifs du Moyen-Orient, par exemple. On peut toujours voir quelques traces de réalité dans chaque structure de Zelda – y compris les plus fantastiques.
On se doute assez facilement de l’importance d’une architecture impressionnante dans un jeu, mais en même temps, chaque bâtiment doit répondre à une fonction ludique…
C’est difficile à déterminer, et je ne suis pas sûr que je saurais établir quelle est la proportion de « jouabilité » et d’impression visuelle dans les choix de Nintendo. A l’évidence, les deux sont importants : un niveau a besoin d’être à la fois joli et d’être intéressant et agréable à jouer. L’une des plus grandes réussites de la saga, ce sont ses donjons à la conception si mémorable ; les énigmes, le rythme, la structure de chaque donjon aide à créer notre propre perception de l’endroit. Il y a de nombreuses fois où je me suis surpris à me demander : est-ce un choix architectural qui a une forme de signification culturelle, ou simplement un mécanisme nécessaire pour progresser dans le temple ? Souvent, je n’ai pas la réponse.
Prenez par exemple l’aérouage [une sorte d’écrou volant faisant office d’hoverboard] que l’on trouve dans la tour du Jugement, dans Twilight Princess [GameCube et Wii, 2006]. Il y a de nombreuses salles dans ce temple qui n’ont pas de but visible, en termes d’analyse culturelle, mais sont couvertes de rails pour l’aérouage, vous aidant à vous déplacer d’un point à un autre. Mais ces tracés ont-ils une signification culturelle ou religieuse, ou s’agit-il juste d’un mode de transport pour nous, en tant que joueurs ? Au final, on ne sait pas, mais c’est typiquement une question à considérer.
D’une manière générale, y a-t-il une philosophie architecturale propre à « Zelda » ?
Je pense, et je vais essayer de la définir. Une bonne architecture « zeldaesque » réussit à intriguer, désarçonner, et donner le sentiment d’être redevenu un enfant, dans le meilleur sens du terme. Chaque lieu que j’apprécie particulièrement, par exemple la Grande Caverne antique [Skyward Sword, Wii, 2011], le temple de la forêt [Ocarina of Time, Nintendo 64, 1998], les Ruines des Pics Blancs [Twilight Princess, GC/Wii, 2006], répond à ces critères.
La Grande Caverne antique de « Breath of the Wild », un lieu fascinant, pour une fois inspiré par une architecture non occidentale. | Nintendo
Ces beaux espaces m’intriguent, me donnent envie de les explorer encore davantage ; ils vous attirent, vous immergent totalement dans leur thème et leur atmosphère. Ils me désarçonnent, au sens où je ne sais souvent pas pourquoi, par qui et dans quel but ils ont été construits, et cette confusion alimente ma fascination.
Le troisième point est peut-être le plus important : ils me ramènent au stade de l’enfance. Je me souviens parfaitement de m’être lancé dans de grandes explorations quand j’étais enfant – forêts, vieilles granges, tertres – sans penser à l’heure, à des questions de responsabilité ou d’objectifs particuliers. Je voulais juste explorer. Et c’est ce que l’architecture de Zelda fait – elle me reconnecte avec ma jeunesse. Cette philosophie est hautement personnelle, mais cela définit à mon sens une bonne architecture « zeldaesque ».
Pour des raisons de coûts et de logique de production, les jeux en monde ouvert ont tendance à recycler de nombreuses fois les mêmes bâtiments. Est-ce quelque chose qui vous a inquiété pour Breath of the Wild ?
Oui et non. Avec une carte aussi gigantesque, et tant de structures, des joueurs auront peut-être une impression de répétition d’un point de vue architectural, mais je pense que cela peut profiter à un jeu vidéo si c’est bien fait. Bien sûr si chaque élément est un recyclage des composants du précédent bâtiment, le monde semblera fade et répétitif ; mais si vous gardez les éléments de base, changez quelques petits aspects dans différentes régions, ou à travers des prismes culturels, vous avez un phénomène proche de la diffusion culturelle dans le vrai monde : alors il y a une histoire, quelque chose à interroger.
Les tours à la « Assassin’s Creed », un des éléments récurrents de « Breath of the Wild ». | Nintendo
La plupart des versions du château d’Hyrule ont les mêmes éléments de base – murs crénelés, grandes aiguilles et tours, et toits bleus – et donc on pourrait croire qu’ils se ressemblent tous. Mais quiconque a joué à Twilight Princess et Ocarina of Time sait que c’est loin d’être le cas. Ces éléments de base peuvent prendre de nombreuses formes, créant de tous nouveaux lieux, de toutes nouvelles atmosphères. Beaucoup de jeux sont mauvais là-dessus, espérant que les joueurs ne feront pas attention, ils changent juste une texture ici, un couloir là, mais c’est paresseux. Alors que dans l’ensemble, je trouve que Zelda fait un travail fantastique pour rendre chaque région unique en elle-même, où chaque bâtiment comprend quelque chose de particulier. Donc non, je n’ai pas d’inquiétude. Espérons que je n’ai pas parlé trop tôt !