Spaceknow, une entreprise américaine, combine des images satellites à l’apprentissage machine pour proposer des indicateurs économiques. Et veut aller plus loin. | Quentin Hugon / Le Monde

Peut-on déterminer le niveau de l’activité d’une usine automobile en calculant le taux d’occupation de ses parkings ? Celui d’un port de commerce en dénombrant, depuis l’espace, le nombre de mouvements des navires ? Celui d’une raffinerie par le nombre de camions y déchargeant du pétrole brut ?

Pavel Machalek en est convaincu. Le fondateur et dirigeant de Spaceknow l’a expliqué vendredi 10 mars lors du festival de technologie South by Southwest, qui se tient à Austin (États-Unis) du 10 au 14 mars. Le but de son entreprise est ambitieux : tirer de milliers de photographies satellites du globe des informations sur l’activité humaine et les analyser. Elle vient de lever 4 millions de dollars et emploie une trentaine de salariés, principalement aux États-Unis. Elle recrute ses principaux clients dans les rangs de la finance et de la défense.

Compter les voitures sur les parkings d’une usine ou les bateaux dans un port pour en mesurer l’activité est une activité ancienne, rendue possible dès l’arrivée des images satellites. Cette tâche, dantesque, est désormais facilitée par l’abaissement du coût des images spatiales occasionné par le nombre croissant de lancements de satellites et le développement de l’informatique « en nuage » qui permet de mobiliser d’importantes capacités de calcul pour un coût modique.

Faire compter les bateaux à un ordinateur

Le pari de Spaceknow est donc d’utiliser l’intelligence artificielle, et plus précisément l’apprentissage machine, pour numériser et automatiser ces tâches. Des milliers d’images satellites, de bateaux par exemple, sont soumises au programme de Spaceknow, qui finit par pouvoir les reconnaître tout seul sur de nouvelles images. « C’est comme apprendre à un enfant » résume M. Machalek.

Un des services phare de Spaceknow consiste à cartographier en permanence plus de 6 000 zones industrielles en Chine afin d’en déduire leur niveau d’activité. Les informations collectées sont ensuite distribuées dans le prestigieux terminal Bloomberg, le Graal des informations économiques. Selon M. Machalek, l’activité ainsi mesurée ne correspond pas aux statistiques officielles chinoises. Spaceknow propose aussi le Africa Night Light Index : une mesure de l’intensité lumineuse dans 53 pays d’Afrique. Un moyen, explique M. Machalek au Monde après sa conférence, de mesurer l’activité économique « par procuration », dans des zones où « les chiffres ont du retard, ou sont inexistants ».

Faire reconnaître à un ordinateur ce qu’il « voit » sur une image satellite est une chose, interpréter ces données pour comprendre les phénomènes en cours en est une autre. Les biais sont multiples, poursuit M. Machalek :

« Aux États-Unis, nous avons tous une voiture, on la conduit, on la gare sur de grands parkings des zones commerciales : le nombre de voitures stationnées donne grossièrement le nombre de clients. Mais ça ne marche pas dans d’autres pays, en développement par exemple, où tout le monde n’a pas de voiture. »

Pour interpréter les images satellites, Spaceknow croise ses propres informations avec des « données secondaires » (bases de données spécialisées, réseaux sociaux…), explique son dirigeant. De l’aveu même de son dirigeant, les indices proposés par Spaceknow ne sont pas parfaits : « ils sont comme les notes de Fitch ou de Moody’s, un moyen de voir la réalité ». Et dans la plupart des cas, ils pallient un manque de données. « Pour certaines régions ou secteurs économiques, il n’y a pas d’autre information disponible » pointe M. Marchalek.

« Saisir toute l’activité humaine »

A terme, ce dernier aimerait faire analyser par son intelligence artificielle l’intégralité du globe, en permanence. Il ne s’agit pas seulement des usines chinoises ou des ports européens, mais de « comprendre, de saisir toute l’activité humaine ». Le discours, rôdé et exalté, est un classique de la Silicon Valley :

« La question, c’est comment vous utilisez cette technologie pour faire le bien, pour accroître le bonheur, rendre la société meilleure. C’est une fantastique capacité de voir le monde avec plus de clarté. »

Lorsqu’un membre du public fait valoir qu’une telle volonté pourrait aussi être assimilée à de la surveillance, M. Marchalek réplique aussitôt : « transparence ! » Il tente de rassurer : « notre technologie ne peut pas vous voir vous individuellement, vous n’êtes pas personnellement identifiables ».

Pour lui, il s’agit d’une évolution de la société :

« En 1995, si j’avais dit à mes amis que nos conversations et toutes nos relations seraient en ligne, on m’aurait traité de fou. Pourtant maintenant que tout le monde le fait, c’est normal. »

Pour s’expliquer, il improvise une autre comparaison : « quand vous êtes à l’extérieur, vous ne vous attendez pas à avoir une vie privée. C’est la même chose que si je me promenais dans la rue avec un appareil photo. Sauf que là, l’appareil photo est au-dessus de vous ».

Qu’est-ce que South by Southwest ?

South by Southwest, surnommé « SXSW », est l’un des plus importants festivals au monde consacré aux nouvelles technologies – mais aussi à la musique et au cinéma. Il se déroule à Austin, au Texas, du vendredi 10 au mardi 14 mars. Plus de 33 000 personnes sont attendues pour assister aux centaines de conférences qui y sont données. Après Barack Obama ou encore Mark Zuckerberg, le festival doit accueillir cette année des personnalités telles que l’astronaute Buzz Aldrin, le « futuriste » de Google Ray Kurzweil ou encore l’équipe de la série Game of Thrones. Pixels suit le festival au quotidien dans une rubrique dédiée, mais aussi sur Twitter et Instagram.