Au lendemain du scrutin législatif aux Pays-Bas, la presse européenne se fait l’écho de la victoire du parti du premier ministre Mark Rutte du Parti populaire libéral et démocrate (VVD), aidée par la récente crise diplomatique avec la Turquie, mais elle n’en fait pas le symbole de la fin du populisme en Europe.

Pour le quotidien britannique The Guardian, les législatives néerlandaises de mercredi 15 mars ne constituent pas « un test décisif » mais plutôt « un test au doigt mouillé ». « Une élection de passée, il en reste deux. En tant que premier test électoral majeur depuis que la Grande-Bretagne a choisi de quitter l’Union européenne et que les Américains ont élu Donald Trump, l’élection aux Pays-Bas faisait figure de banc d’essai pour le populisme anti-establishment avant les deux grands tests que sont les élections en France, avec Marine Le Pen, et en Allemagne, avec l’AfD, avec comme perspective une possible désintégration de l’UE. »

Le premier ministre néerlandais, Marck Rutte, a déclaré qu’il voyait cette élection comme « les quarts de finale dans un tournoi à cinq tours contre le populisme », rappelle le quotidien, l’élection française constituant la demi-finale et l’élection allemande la finale. « Mais l’élection aux Pays-Bas est différente des deux précédents tests : l’élection de Trump et le Brexit étaient des face-à-face, un oui ou un non au référendum, Clinton contre Trump, avec un seul vainqueur possible. Aux Pays-Bas, il y avait vingt-huit partis, dont six d’entre eux auront au moins dix députés, et la formation d’un gouvernement de coalition dirigeant le pays par le consensus et le compromis, avec au moins quatre voire cinq partis. »

M. Rutte « n’en a pas fini avec Geert Wilders »

« Les résultats du scrutin néerlandais signent la fin du populisme pro-Brexit en Europe » titre le journal britannique The Independant, mais y voit également un avertissement au Parti travailliste britannique. L’effondrement annoncé du Parti du travail (PVDA, social-démocrate) s’est en effet réalisé. Avec neuf sièges sur les trente-huit qu’elle avait conquis en 2012, la formation qui était alliée à M. Rutte au cours des quatre dernières années subit un recul historique.

The Telegraph interroge : « Qui a gagné le scrutin néerlandais et qu’est-ce que ça signifie pour l’extrême droite aux Pays-Bas et en Europe ? » Pour l’analyste politique Andre Krouwel, de l’Université libre d’Amsterdam, le clash avec Ankara a permis au premier ministre néerlandais de dire aux électeurs « nous sommes ceux qui protègent réellement vos intérêts ; nous sommes ceux qui descendent au fond de la tranchée pour défendre les Néerlandais ». Mais pour autant, rappelle le quotidien, M. Rutte « n’en a pas fini avec Geert Wilders », comme ce dernier l’a rappelé sur son compte Twitter au soir des élections. Mais pour le quotidien britannique, le grand gagnant du scrutin est la formation écologiste GroenLinks (Gauche verte) du jeune Jesse Klaver qui a quadruplé son nombre de sièges, passant de quatre à seize depuis le dernier scrutin.

Le quotidien néerlandais De Volkskrant juge que, si en Europe le résultat de l’élection a provoqué le soulagement, le climat est moins rassurant au niveau national. Pour le journal, il est clair que le pays dérive un peu plus vers la droite ; il estime que « la coalition de centre gauche n’était qu’un rêve ».

« Soulagement surréaliste »

Dans le quotidien conservateur allemand Die Welt, Dirk Schümer ironise sur le « soulagement surréaliste » qui s’est emparé de l’Europe à l’annonce des résultats du scrutin. « En réalité, il n’y avait pas de véritable danger car aucun parti politique ne voulait collaborer avec Wilders. Et puis, de toute façon, aux Pays-Bas, il n’y a traditionnellement pas de majorité absolue, observe-t-il. La réaction de joie, qui s’est surtout exprimée à l’étranger, s’explique plutôt par l’atmosphère sinistre qui prévaut [sur le Vieux continent] : la victoire de Mark Rutte est enfin celle d’un homme politique qui se présente comme un Européen convaincu, favorable à la coopération au sein de l’UE et promoteur de l’Etat de droit libéral. »

De son côté, Michael Stabenow, de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, estime que Mark Rutte doit son succès à son calcul politique vis-à-vis de la Turquie. Il a été, de fait, le principal bénéficiaire de « l’escalade » diplomatique avec Ankara consécutive à l’annulation de rassemblements prévus sur le sol néerlandais pour promouvoir le « oui » au référendum constitutionnel du 16 avril, censé élargir les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan. Mais, prévient M. Stabenow, le plus dur attend désormais le premier ministre sortant : former une coalition. D’autant que le paysage politique est très fragmenté.

Dans le journal allemand Der Spiegel, Claus Hecking se réjouit d’une « victoire de la raison » et explique, lui aussi, que Mark Rutte a assurément marqué des points en sa qualité de « chef de crise » face au président turc. « Plus le despote d’Ankara s’est montré grossier envers les Pays-Bas, en multipliant les insultes, plus les Néerlandais se sont rassemblés derrière le chef du gouvernement », souligne-t-il.

Pour Matthias Krupa, de l’hebdomadaire allemand libéral Die Zeit, l’issue du vote prouve une chose : bien que le centre continue de s’effriter, les nationalistes n’en profitent pas nécessairement. « La principale leçon de cette soirée électorale est sans aucun doute qu’elle a laissé l’islamophobe Wilders sans voix. Pour l’Europe, cela est porteur d’un immense espoir. La marche en avant des nationalistes, qui apparaissait inéluctable à l’aune du Brexit et de l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, n’est pas une fatalité. »

Die Süddeutsche Zeitung voit également dans le résultat des législatives aux Pays-Bas « un signal positif pour l’Europe. (…) L’élection l’a prouvé : il est possible de faire barrage aux populistes. Pour autant, il est prématuré de dire adieu au nationalisme agressif. »

« Première défaite majeure »

La presse espagnole évoque également « une forme de soulagement » face à la mise en déroute du « parti islamophobe et populiste » de Geert Wilders. « Après le Brexit et la victoire de Donald Trump à la Maison Blanche, le populisme xénophobe a essuyé sa première défaite majeure en Occident », considère le quotidien El Pais.

« Les Pays-Bas se mobilisent pour freiner la montée du populiste Wilders », titre El Mundo en « une ». Dans ses colonnes, le quotidien revient sur la « surprise » que constitue la percée des écologistes, la formation GroenLinks. Malgré la chute du Parti du travail (PVDA, social-démocrate), le journal considère que la montée de la Gauche verte participe à un maintien des idées de gauche chez les électeurs néerlandais.

Dans son éditorial titré « Frein au populisme en Hollande », le journal La Razon considère que le parti de Geert Wilders « n’est pas parvenu à dépasser ses attentes ». Le quotidien considère que la crise économique de 2010 avait servi de tremplin à M. Wilders, mais que l’amélioration de la situation sociale a permis de conserver une certaine stabilité politique dans le pays, malgré des discours virulents du Parti de la liberté contre l’immigration. Pour autant, El Razon précise qu’il ne s’agit pas de nier qu’il s’agit malgré tout d’une victoire du populisme aux Pays-Bas.