Les mariages dérangés de Jane Austen
Les mariages dérangés de Jane Austen
Par Florence Noiville
Les archives du Hampshire exhument deux faux certificats de mariage de la main de l’écrivaine britannique, restée célibataire.
« The Rice Portait of Jane Austen » par le peintre britannique Ozias Humphry (1742-1810). | STAN HONDA/AFP
Etonnants documents que ceux qui seront exposés à partir de mai à Winchester, dans le comté du Hampshire, en Angleterre. A l’occasion des 200 ans de la mort de Jane Austen – l’auteure d’Orgueil et préjugés (1813), née à Steventon, à l’ouest de Londres, en 1775 et morte à Winchester, à quelques miles de là, en 1817 –, les archives du Hampshire viennent d’exhumer deux certificats de mariage. Jusque-là, rien d’étonnant.
Sauf que tous deux annoncent les mariages de l’écrivaine avec deux hommes différents. Le premier avec un certain Edmund Arthur William Mortimer, de Liverpool. Le second avec Henry Frederic Howard Fitzwilliam, de Londres. Or on sait que Jane Austen, fille de pasteur, a passé une jeunesse bien rangée à l’ombre de ses frères, qu’elle a toujours été célibataire, jusqu’à sa mort à l’âge de 41 ans.
Adepte du « faux en écriture »
Un examen de l’écriture fine et penchée montre que c’est Austen elle-même qui a écrit ces bans. « Probablement à la période de son adolescence », note, sur le site du comté, le conseiller à la culture du Hampshire, Andrew Gibson. Il ajoute que ces documents ont été retrouvés dans le registre des mariages de Steventon, auquel la jeune Jane Austen avait facilement accès puisque son père n’était autre que le pasteur de cette paroisse. Romancière, c’est-à-dire adepte du « faux en écriture », Austen se serait ainsi inventé deux mariages blancs – pour ne pas dire transparents – puisque Mortimer et Fitzwilliam n’ont vraisemblablement jamais existé !
Le plus drôle, c’est qu’une bonne partie de l’œuvre de Jane Austen tourne, comme on sait, autour du mariage et des considérations qui l’entourent. Y compris les plus terre à terre ou les plus cyniques. Comme dans Orgueil et préjugés, où Charlotte Lucas explique à Elizabeth Bennet que « le bonheur dans le mariage étant entièrement affaire de hasard », mieux vaut commencer par épouser un homme riche, et ensuite seulement penser à l’amour. Ou comme dans Mansfield Park (1814), où Mary Crawford qualifie le mariage d’« entreprise manœuvrière », hypocritement présentée comme un sacrement religieux solennel, quand tout ce qui compte est la cote de la jeune femme sur le « marriage market ».
En dépit de ces théories et d’occasions manquées – en 1802, à 27 ans, elle avait accepté la demande en mariage d’un ami de la famille, Harris Bigg-Wither, mais s’était ravisée dès le lendemain matin –, Austen n’avait donc jamais trouvé l’âme sœur dans la vraie vie. Alors, elle se l’était inventée. Sur mesure. Elle s’en était même offert deux tant qu’elle y était. Henry et Edmund étaient consentants, effacés, discrets, et ils ne la trahissaient jamais. Elle pouvait passer de l’un à l’autre sans créer de drame… Quand on y réfléchit, le concept de « mari fictif » a des avantages.