Images d'un écran diffusant le débat télévisé entre les cinq principaux candidats à la présidentielle 2017 sur le plateau de TF1, le 20 mars. | « LE MONDE »

Elsa Foucraut, de l’ONG Transparency International a répondu à vos questions sur les déclarations de patrimoine des onze candidats à la présidentielle publiées le 22 mars.

Elsa Foucraut : Bonjour à tous,

Ravie de faire ce tchat. En introduction, pour mieux nous connaître, vous pouvez jeter un œil au site de Transparency International et plus spécifiquement au bilan des engagements des candidats à la présidentielle sur nos recommandations.

Chantal-france : Bonjour, je n’ai pas pu consulter le site de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Pouvez-vous nous dire quel est le candidat dont le patrimoine est le plus élevé ?

Elsa Foucraut : Les déclarations de patrimoine sont disponibles sur le site de la HATVP. Pour les consulter, vous pouvez cliquer ici. Peut-être qu’on peut commencer par rappeler que c’est la première fois que ces déclarations de patrimoine sont obligatoirement rendues publiques.

Esteb : Le patrimoine d’Emmanuel Macron n’est-il pas largement sous-évalué ? Il est au niveau de Poutou, un ouvrier, alors qu’il était ministre et banquier…

Elsa Foucraut : Beaucoup de questions sur Macron ! Essayons d’être factuel. En tant que ministre, Macron a dû faire une déclaration de patrimoine à la HATVP à son entrée et sa sortie du gouvernement. C’est une nouvelle obligation qui découle de la loi sur la transparence de la vie publique de 2013. La HATVP contrôle les déclarations de patrimoine, en lien avec l’administration fiscale. Si des citoyens repèrent des manquements aux obligations déclaratives d’un ministre ou d’un parlementaire, ils peuvent faire un signalement à la HATVP, notamment via des organisations habilitées à le faire comme Transparency International. En revanche, la déclaration de patrimoine d’Emmanuel Macron en tant que candidat n’est pas contrôlée, mais publiée telle que fournie par le candidat.

JF : Bonjou. Dans quelle mesure ces « déclarations » vont être vérifiées, tant certaines paraissent peu crédibles (celles de Macron ou Fillon si l’on compare avec leurs revenus déclarés).

Elsa Foucraut : Contrairement aux déclarations de patrimoine des parlementaires et des ministres, les déclarations des candidats ne sont pas vérifiées. Elles sont publiées telles que les candidats les ont transmis. En 2013, lorsque la loi sur la transparence de la vie publique a été votée, le Conseil constitutionnel avait censuré la possibilité de contrôler ces déclarations. Pour rappel, un lien vers le site du Conseil constitutionnel.

PP : Bonjour, si les déclarations des candidats ne sont pas contrôlées par la HATVP, quelle crédibilité leur accorder ?

Elsa Foucraut : Bien sûr il serait préférable que ces déclarations soient vérifiées, mais regardons les choses autrement : la transparence permet aussi un contrôle citoyen et médiatique. Encore une fois, il faut le redire : c’est une première. En 2012, ce tchat n’aurait pas pu avoir lieu.

En 2012, Transparency International avait dû inviter les candidats à publier une déclaration d’intérêts. Certains l’avaient fait, d’autres non. Aujourd’hui, tous les candidats sont soumis à la même obligation, ce n’est plus un libre choix.

Bertrand : Vous avez demandé à tous les candidats de s’engager. Êtes-vous satisfaits de leurs réponses ?

Elsa Foucraut : Dix candidats sur onze ont répondu : pas mal comme ratio, non ? Cela traduit une chose : le futur président de la République pourra difficilement faire l’économie de vraies mesures en faveur d’une plus grande transparence de la vie publique. Les citoyens sont exigeants et vigilants, et les candidats l’ont compris.

Leurs réponses ont permis d’identifier des sujets devenus quasiment consensuels (comme la transparence des dépenses des candidats et des partis en période électorale), mais aussi d’identifier les sujets qui restent des points de débat plus clivant (indépendance de la justice et non-cumul notamment).

Par ailleurs, les candidats ont formulé des commentaires additionnels, qui sont consultables sur le site de Transparency International.

Aries no Mu : Bonjour, je ne sais pas trop quoi penser du fait que l’épouse de Hamon soit lobbyiste chez LVMH. Quelle est la position de votre organisation sur ce genre de situation ?

Elsa Foucraut : Plutôt que d’évoquer le cas particulier de M. Hamon prenons un peu de hauteur. Votre question soulève deux vraies questions : les conflits d’intérêts et la transparence du lobbying. Sur les conflits d’intérêts : depuis 2013, la profession du conjoint apparaît dans les déclarations d’intérêts de tous les parlementaires. C’est le cas de Benoît Hamon.

Nous ne sommes pas favorables à l’interdiction du lobbying mais nous voulons le rendre transparent

Un mot sur le lobbying car cela fait partie de nos recommandations : comment le rendre plus transparent, etc. Transparency International estime que le lobbying est un rouage normal de la démocratie, à condition qu’il soit pratiqué de manière éthique, transparente et régulée. Et plutôt que de parler de lobbying, nous préférons parler de représentants d’intérêts et nous considérons que nous sommes nous-mêmes des représentants d’intérêts.

Nous ne sommes pas favorables à l’interdiction du lobbying mais nous voulons le rendre transparent. La loi Sapin 2 a créé un registre des représentants d’intérêts, mais nous avons quelques inquiétudes sur les décrets d’application.

Jules : C’est une étape mais grandement insuffisant, quel contrôle citoyen peut-on espérer ? On n’a pas les moyens de Bercy pour vérifier. C’est une transparence faussée.

Elsa Foucraut : Au risque de me répéter : on part de loin ! La loi de 2013 sur la transparence de la vie publique est un vrai pas en avant. Mais bien sûr, il faut continuer !

Pour le contrôle des déclarations de patrimoine des candidats, malheureusement on va buter sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais ce n’est pas le seul sujet sur lequel on peut encore progresser. Par exemple, les déclarations de patrimoine des Parlementaires ne peuvent être consultées qu’en préfecture, sans avoir le droit de prendre des notes, etc.

La publication en ligne des déclarations de patrimoine des Parlementaires serait un vrai pas en avant, et c’est l’une de nos recommandations.

Zel : Plusieurs candidats sont déjà parlementaires : y a-t-il cohérence entre les déclarations qu’ils viennent de fournir et celles qu’ils ont fournies au début de leur mandat ?

Elsa Foucraut : Chacun peut consulter les déclarations d’intérêts des parlementaires (plus ou moins bien mises à jour…) sur le site de la HATVP. En revanche, pour les déclarations de patrimoine, il faut aller en préfecture. Mais c’est tout à fait possible.

Précision quand même : les parlementaires n’ont pas fourni de déclaration en « début » de mandat puisqu’ils ont été élus en 2012 et que la loi est entrée en vigueur fin 2013. Les premières déclarations datent donc de 2014.

Gorz : Votre définition de la transparence n’est-elle pas trop large, fourre-tout, puisqu’elle inclut le droit de pétition national ou le non-cumul des mandats ?

Elsa Foucraut : Très bonne question ! Qui me permet d’expliciter la démarche. Nous ne pensons pas qu’une seule mesure va permettre de rendre la vie politique plus transparente et de réconcilier d’un coup de baguette de magique les Français avec leurs élus et leurs institutions. Au contraire, il faut combiner plusieurs mesures.

Plus un élu reste en fonction, plus le risque est grand de le voir développer des pratiques clientélistes

En août dernier, Transparency a réalisé un sondage sur la perception de la corruption des Français, pour compléter le travail d’expertise que nous conduisons au long court. Il ressort de ce sondage que 50 % des 18-24 ans pensent qu’une plus grande participation des citoyens aux décisions publiques rendrait la vie politique plus transparente. Sur le cumul des mandats, le lien avec la transparence est plus évident. Plus un élu reste en fonction, plus le risque est grand de le voir développer des pratiques clientélistes, qui favorisent la corruption.

Par ailleurs, un élu qui cumule un mandat local et un mandat national se retrouve en situation de conflit d’intérêts, à chaque fois que l’intérêt local diverge de l’intérêt national. Plus généralement, le but de notre démarche est de « réoxygéner la démocratie », comme on aime à le dire, et de remettre de la confiance entre les citoyens et leurs élus.

Tryphon : Bonjour, comment s’effectue le contrôle des déclarations ? Si vous ne le faites pas qui doit l’effectuer ? Une juridiction indépendante qui s’auto-saisit ? Je comprends votre approche apolitique (dans l’absence de contrôle), mais devez-vous vous y arrêter ?

Elsa Foucraut : Nous ne sommes ni la police, ni la justice, ni l’administration fiscale : même si nous le voulions, nous ne pourrions pas effectuer les contrôles à la place des autorités. En revanche, si un citoyen veut nous signaler un problème dans une déclaration, nous l’examinerons attentivement en tant qu’ONG habilitée à saisir la HATVP. Et nous avons d’ailleurs déjà saisi la HATVP.

Lilavert : Les déclarations de patrimoine des candidats sont faites sur l’honneur et ne sont pas vérifiées. Mais savez-vous si les candidats encourent des sanctions si elles apparaissent par la suite inexactes ?

Elsa Foucraut : Comme c’est nouveau, il n’y a pas d’antécédents, donc pas de jurisprudence portant spécifiquement sur les candidats, mais ce qu’on peut dire c’est que : la loi du 14 avril 2011 renforce les sanctions pour fausse déclaration (30 000 euros d’amende et interdiction d’exercer une fonction publique) ; et la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas d’omission d’une partie substantielle de son patrimoine.

Toc : Merci pour le live, et le travail avec les candidats. Je suis totalement d’accord avec vous sur le « pas en avant ». J’ai un mal fou à l’expliquer à mes proches qui ont l’impression que plus d’affaires signifie plus de corruption, alors que probablement plus d’affaire montre une plus grande latitude des contre-pouvoirs et une moins grande tolérance de l’opinion publique. Au final, les électeurs de François Hollande en 2012 peuvent être au moins contents de ça !

Ce qui était accepté ou toléré par les citoyens, par résignation ou fatalisme, ne l’est plus

Elsa Foucraut : Exactement ! Le « tous pourri » est un poison pour la démocratie. Il faut regarder la situation avec lucidité, sans minimiser ni surestimer le niveau de corruption en France. Un vrai changement de culture est à l’œuvre en ce moment. Ce qui était accepté ou toléré par les citoyens, par résignation ou fatalisme, ne l’est plus. Et c’est une très bonne nouvelle ! Trois grandes raisons à cela selon nous : la crise et les efforts demandés à tous les citoyens qui appellent une demande d’exemplarité, la prise de conscience d’un certain retard de la France par rapport à nos voisins européens, et enfin le travail de fond effectué par la société civile depuis des années qui porte ses fruits. Cette exigence et cette vigilance des citoyens sont paradoxalement un signe de vitalité démocratique.

Par ailleurs, rappelons que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et le Parquet national financier (PNF) sont des institutions jeunes et récentes, créées en 2013 seulement ! Or, si on en parle autant dans l’actualité aujourd’hui, c’est bien qu’elles sont efficaces et nécessaires à la démocratie. C’est ce que nous avions exprimé dans le bilan du quinquennat Hollande que nous avons publié en décembre dernier.

Un autre chiffre : selon la cartographie des condamnations pour corruption de Transparency International, on recense 687 condamnations judiciaires, ce qui est à la fois beaucoup, et en même temps cela ne représente qu’environ une condamnation pour mille élus.

Bref, on ne part pas d’une page blanche : bien au contraire, le changement dans les pratiques politiques est à l’œuvre, mais le chemin à parcourir est encore long. Le futur président de la République devra poursuivre cette dynamique, et c’est vraiment le sens du questionnaire que nous avons adressé à tous les candidats.

Guillaume : Bonjour. Dans vos propositions, je n’ai pas vu le non-cumul entre un mandat national et une activité privée (genre une activité de conseil). Qu’en pensez-vous ?

Elsa Foucraut : Très bonne question ! Première remarque : de manière générale, il faut renforcer le cadre déontologique du Parlement. D’ailleurs, si vous partagez cette conviction, n’hésitez pas à signer notre pétition adressée à Gérard Larcher et Claude Bartolone (et à en parler autour de vous !).

Effectivement, beaucoup de parlementaires exercent une activité annexe : il y a des agriculteurs, des médecins, des pharmaciens, des professeurs, mais aussi, c’est vrai des avocats et des activités de conseil. Cela pose évidemment la question des conflits d’intérêts. Malheureusement, il y a là encore un obstacle constitutionnel. Le Conseil constitutionnel estime qu’on ne peut pas interdire à un parlementaire d’exercer une activité de conseil qu’il avait commencé avant le début de son mandat, et qu’on ne peut pas non plus interdire le cumul avec le métier d’avocat. Ce que nous déplorons. Partant de ce constat, une des recommandations que nous formulons serait de plafonner les revenus annexes des parlementaires, comme cela se fait par exemple aux Etats-Unis. Cela réglerait en grande partie le problème. On pourrait par ailleurs imaginer que les parlementaires soient obligés de déclarer une situation de conflit d’intérêts avant de participer à un vote.

Scandalisé : Comment peut-on encore déclarer des redressements et des erreurs de déclaration et se présenter devant le vote des Français ? Et sans y être interdit par la justice de notre pays ?

Elsa Foucraut : C’est tout l’enjeu du casier judiciaire vierge, une idée qui fait son chemin et qui fait partie de nos recommandations. Ce n’est pas une idée nouvelle, puisque le sujet a été débattu dans la loi Sapin 2, mais cela a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel (pour des raisons formelles, pas sur le fond). Une nouvelle proposition de loi a été déposée en janvier dernier, même s’il est vrai qu’elle arrive trop tard pour être adoptée avant les prochaines élections.

Pierre : Un casier vierge, n’est-ce pas trop demander ? Mandela a fait de la prison, de Gaulle a été condamné à mort, Gandhi a fait six ans de prison…

Elsa Foucraut :… et moi-même j’ai déjà reçu des amendes pour non-respect du code de la route ! Je réponds par une boutade mais vous soulevez une bonne question. L’idée n’est pas d’interdire à Gandhi de se présenter, ni au citoyen qui grille un feu rouge. Toutes les condamnations ne sont pas inscrites au casier judiciaire B2. Aujourd’hui pour devenir fonctionnaire vous devez présenter un extrait de casier judiciaire, mais pas un élu : pas très logique ni très normal. Je vous recommande la lecture du rapport accompagnant la proposition de loi que j’ai citée précédemment, qui est riche d’informations « techniques » autour de cette proposition. Et en plus synthétique notre fiche.

Mat : Bonjour, je vous cite : « Le changement dans les pratiques politiques est à l’œuvre, mais le chemin à parcourir est encore long. Le futur président de la République devra poursuivre cette dynamique. » Je pense que nous sommes nombreux à nous en réjouir mais j’ai peur que les efforts consacrés soient bien différents selon le ou la future présidente.

Si le prochain président applique pleinement toutes nos recommandations, nous aurons beaucoup progressé

Elsa Foucraut : Déjà, commençons par nous féliciter que la probité et la transparence de la vie publique soient au cœur de la campagne : c’est une bonne nouvelle. Les citoyens sont exigeants, et on voit bien avec l’actualité que certaines pratiques tolérées hier ne le sont plus aujourd’hui. Mais il ne faut pas s’arrêter au milieu du gué : beaucoup reste encore à faire. D’où l’intérêt de pousser les candidats à s’engager, d’une part pour que cela alimente le débat et que les citoyens en aient connaissance, et d’autre part pour pouvoir ensuite mettre le président de la République face à ses engagements et veiller à ce qu’ils soient tenus. Si le prochain président de la République applique pleinement toutes nos recommandations, nous aurons beaucoup progressé dans 5 ans !

Cromorne : Bonjour, et merci pour votre disponibilité. Comment expliquez-vous que malgré les mauvais comportements des candidats à différentes élections, ceux-ci se font souvent réélire ? Que faudrait-il faire pour changer cela ?

Elsa Foucraut : Cela a longtemps été vrai, mais c’est de moins en moins vrai. Des pratiques qui étaient hier acceptées ou tolérées, par résignation ou fatalisme, ne le sont plus. Les Français sont certes défiants, mais aussi - et surtout - exigeants et vigilants vis-à-vis de leurs élus, ce qui est un signe de vitalité démocratique.

Mais votre question pose indirectement celle du renouvellement de la classe politique, d’où nos recommandations sur le non-cumul des mandats (cumul de deux mandats et cumul dans le temps), un sujet qui reste encore clivant même s’il est plébiscité par les Français.