Pour exercer dans le management du luxe, mieux vaut se familiariser dès ses études avec un marché de plus en plus mondialisé. | TORSTEN BLACKWOOD / AFP

Comment faire d’un acte d’achat un « moment d’exception » ? C’est ce à quoi préparent les grandes écoles des métiers du management du luxe. Car lorsqu’on parle de centaines de milliers d’euros, voire de millions, la vente d’un produit change de dimension : elle devient « une expérience », explique Thibaut de La Rivière, directeur de Sup de luxe. Celles et ceux qui savent produire cette « expérience » se préparent de belles années : si le secteur a connu, en 2016, une de ses moins bonnes années, les perspectives à moyen terme semblent florissantes – le cabinet Bain annonce un chiffre d’affaires mondial de 285 milliards d’euros à l’horizon 2020 (contre 249 milliards en 2016).

Comme les autres formations du secteur, Sup de luxe s’appuie sur trois piliers : transmission d’un « savoir-faire », épanouissement du « savoir-être » et adaptabilité géographique et culturelle sur un marché mondialisé. Outre le goût pour les marques et leurs produits ainsi que la maîtrise des langues étrangères, « l’empathie vis-à-vis du monde de la création est évaluée en priorité », explique Françoise Sackrider, directrice des programmes de management de l’Institut français de la mode (IFM), une des écoles les plus recherchées en Europe. « Le luxe est intimement lié à l’art et à la culture », souligne également Simon Nyeck, titulaire de la chaire des savoir-faire d’exception de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec).

Les futurs manageurs du secteur sont formés à l’intégralité de la chaîne : conception, réalisation, marketing et distribution. « Les manageurs des grands horlogers, par exemple, s’initieront dans la vallée de Joux, en Suisse, où Vacheron, Patek et Audemars Piguet conservent leurs industries. Il est nécessaire de comprendre intimement le produit pour transmettre au futur client la conviction qu’il s’approprie un objet d’exception », explique Denis Darpy, qui dirige deux masters dédiés au luxe à l’université Paris-Dauphine.

Compréhension des produits

Même méthode d’apprentissage dans la mode. Les premiers enseignements dispensés par l’IFM sont des « cours de familiarisation aux produits, aux techniques de réalisation et de création », détaille Françoise Sackrider. La maîtrise d’une filière commence donc par la compréhension des produits et des tâches de ceux qui les réalisent : artisans, ouvriers, couturiers – « des personnes qui n’ont pas fait de grande école, mais qui sont le cœur des métiers du luxe », rappelle Simon Nyeck.

Une fois acquis le « savoir-faire », reste à maîtriser le « savoir-être » : gérer l’ego des créatifs autant que les impératifs des ingénieurs chargés de la réalisation des produits, entendre l’expérience des vendeurs, confrontés directement aux attentes des clients… « Il faut donc de grandes qualités relationnelles afin de faire travailler de concert un groupe tout en écoutant les autres », insiste Simon Nyeck.

Chef d’orchestre, le manageur dirige les différents pupitres de son entreprise tout en restant attentif à la concurrence, et ce, dans chacune des régions du globe afin de s’adapter aux différentes typologies de clients. La mondialisation des échanges n’a pas enlevé à Paris le titre officieux de capitale du secteur. Venus d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Sud, chaque année des étudiants s’installent, un temps, dans la capitale française pour s’immerger dans un bain d’art et de luxe. « Près de la moitié de nos étudiants sont des internationaux », indique Françoise Sackrider. « Notre dernière promotion de 77 étudiants est composée de 25 nationalités », confirme Michel Phan, directeur du master luxe de l’EM Lyon. Mêmes profils à l’Essec où, sur les 40 élèves du MBA Management des marques du luxe, seulement trois sont français.

Etre flexible, mobile, adaptable

Mais si Paris conserve une aura particulière, les marchés nord-américains, chinois et de la péninsule arabique constituent aujourd’hui les principales cibles des grandes enseignes du luxe. Les écoles adaptent en conséquence leur formation aux besoins du marché. Il est nécessaire d’être flexible, mobile, adaptable. « Ce n’est pas en restant dans un magasin de l’avenue Montaigne à Paris qu’on a une chance de comprendre l’attitude appropriée pour vendre un produit à un client chinois de Hongkong », résume Denis Darpy.

« Tout enseignement doit être international. Le marketing, la démarche commerciale doivent être adaptés à la typologie du client », poursuit Thibaut de La Rivière. Une fois une solide base de la culture du luxe acquise ainsi que les fondamentaux de marketing et de comptabilité, les étudiants sont envoyés faire un tour du monde.

Dans le cadre de son MBA en management des marques de luxe, l’Essec emmène ses étudiants à Hongkong, « pour leur apprendre comment faire du business avec les Chinois ». Puis c’est à Dubaï que les élèves s’envolent avant de faire un détour vers l’Italie, « pour s’imprégner des manières de faire des affaires sur un autre territoire de grande culture du luxe et de la mode », explique Simon Nyeck.

La Chine, incontournable

L’EM Lyon a pour sa part divisé son cursus en trois temps et trois zones géographiques. Une première étape à Paris d’abord, où l’on enseigne l’histoire et la culture des produits. Puis New York, en partenariat avec la Parsons School of Design, ou Londres, deux capitales du « business » à l’anglo-saxonne. Puis vient la Chine, sur le campus de Shanghaï. « Le client chinois, c’est un tiers de la consommation du luxe », estime Michel Phan. Un marché incontournable et beaucoup d’opportunités d’emplois possibles pour des étudiants français mobiles et sinophones.

« Beaucoup de sociétés occidentales et notamment françaises s’installent ici pour lancer des marques de luxe », souligne Klaus Heine, professeur en marketing de luxe à l’EM Lyon. Des entreprises qui ont « beaucoup de mal à recruter », note Michel Phan. Pour les futurs manageurs des enseignes de la place Vendôme, « China is the place to be », résume Klaus Heine.

L’ensemble de ces exigences permet aux écoles de recruter dans un vivier hétérogène. Parmi les futurs cadres des grandes enseignes de la mode, de la joaillerie, de l’horlogerie ou de la cosmétique, se dégage un important contingent d’étudiants ayant déjà suivi une formation en marketing (en école de commerce) ou en droit ; mais les diplômés en langues, littérature ou sciences humaines trouvent également leur place.