Manuel Valls, à Paris, le 14 mars. | JEAN CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

La Haute autorité de la primaire a rappelé Manuel Valls à l’ordre, mercredi 22 mars, critiquant un « manquement à la parole donnée » après qu’il a décidé de ne pas donner son parrainage à Benoît Hamon et a publiquement critiqué son programme.

En agissant de la sorte, l’ancien premier ministre a contrevenu aux règles de la primaire et révèle les failles de ce système encore nouveau en France estime Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université Lille-II, qui a codirigé avec Eric Treille l’ouvrage Les Primaires ouvertes en France. Adoption, codification, mobilisation (Presses universitaires de Rennes, 2016).

Que nous dit l’attitude de Manuel Valls de la conversion du système politique français au principe des primaires ?

La décision de Manuel Valls est attentatoire au principe fondamental des primaires : le soutien au vainqueur quoiqu’il arrive. Les primaires avaient été adoptées pour installer une régulation des luttes internes et déterminer le leadership dans un parti. Mais à la condition de soutenir le vainqueur. Manuel Valls y contrevient en refusant de parrainer Benoît Hamon et en critiquant son programme.

Mais le principe des primaires est encore fragile en France. Il faut beaucoup de temps pour institutionnaliser un tel système, il est donc tout à fait normal que l’on observe des bricolages. Rappelons qu’il n’y a en la matière qu’un seul précédent dans l’histoire politique française : la primaire socialiste de 2011. Aux Etats-Unis, cela fait un siècle que cela existe.

Ensuite, les primaires sont en France, à la différence du système américain, un système privé qui repose sur les partis politiques, pas sur la loi. Quand Manuel Valls décide de ne pas soutenir Benoît Hamon, il commet une faute politique qui transgresse une règle morale, pas une règle de droit.

Pourquoi un tel scénario, quand la gauche avait réussi sa primaire en 2011 ?

Il y a plusieurs choses. En 2011, il y avait un socle programmatique voté à l’unanimité par le PS qui a en quelque sorte civilisé la primaire. Les candidats étaient d’accord sur un périmètre à ne pas dépasser qui avait tenu le parti, malgré les différences. Le contexte aussi était différent : la gauche devait gagner. Le PS avait perdu 3 élections présidentielles consécutives L’antisarkozysme était très fort. Il y avait une espèce de civilité entre les candidats portée par l’idée qu’il fallait absolument gagner et qu’ils avaient des chances de gagner. C’est, dans une certaine mesure, ce qui s’est joué à droite en 2016 avant le déclenchement de l’affaire Fillon.

En 2016, la situation était très différente pour le PS. La primaire a été très tardive, mal préparée et il n’y avait pas de socle programmatique. Une première dans l’histoire du parti. La Belle alliance populaire avait trop d’ambitions. Elle devait régler les différends idéologiques du PS depuis 2012, mais on ne peut pas les purger aussi tardivement et avec des acteurs aussi polarisés idéologiquement. D’autant que tout le monde est dans le coup d’après. La stratégie de Manuel Valls c’est d’attendre que Benoît Hamon échoue, et de prendre la tête d’un groupe de députés pour négocier son soutien à Emmanuel Macron s’il est élu. Il se dit qu’il peut paraître comme le traître mais considère que les anciens frondeurs n’ont pas de leçons de loyauté à lui donner. Et, d’une certaine manière, il acte le climat de déréliction et de décomposition du paysage politique et profite de cette confusion pour jouer un coup.

Manuel Valls qui ne respecte pas les règles, Yannick Jadot qui abandonne son mandat pour se rallier à un autre candidat… Avec de tels retournements, le principe de la primaire en France est-il discrédité ?

La primaire de 2011 constitue le mythe fondateur des primaires en France. C’est parce qu’il y a eu la primaire en 2011 que François Hollande devient président de la République. Et c’est pour ça que Les Républicains adoptent ce principe. Il est perçu comme une arme pour sécuriser la place au deuxième tour. Or, il est aujourd’hui possible que les deux partis organisateurs de primaires n’atteignent même pas le second tour.

Le procès des primaires a donc commencé. Mais c’est tout le paradoxe. D’un côté les primaires ont été disqualifiées, mais il y a un côté irréversible. Je vois mal comment on pourrait revenir en arrière. Je ne crois pas trop au retour du vote des militants, parce qu’il y a très peu de militants aujourd’hui. Mais surtout, ce serait perçu comme un très gros recul démocratique. Quand on adopte ce système, c’est difficile de revenir en arrière.