Manuel Valls et Emmanuel Macron le 8 février 2016 à Paris. | PATRICK KOVARIK / AFP

Jamais les électeurs n’ont été aussi indécis à moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle, ni l’abstention aussi menaçante. Pour autant, jamais le scrutin n’a semblé susciter autant d’intérêt. En moins d’une heure, mercredi 29 mars, vous étiez déjà plus de trois cents à avoir répondu à l’appel à témoignages du Monde.fr. Nous voulions connaître votre réaction à la décision de Manuel Valls, le même jour, de voter dès le premier tour pour le leader d’En marche !, Emmanuel Macron, au détriment du vainqueur de la primaire du Parti socialiste, Benoît Hamon. Le déferlement de messages fut sans précédent. Les 1 032 réactions recueillies sont à l’image de la gauche à la veille du scrutin présidentiel, profondément divisées.

« Déni de démocratie »

Parmi les électeurs du candidat socialiste à la primaire, beaucoup se disent révoltés par la « trahison » de l’ex-premier ministre, qui avait promis de soutenir le vainqueur du scrutin. Ils font également part de leur « dégoût » face à ce qu’ils considèrent comme un « déni de démocratie ».

« C’est une honte, une infamie, tonne Monique G., retraitée. J’ai toujours voté socialiste… Je suis totalement outrée, dégoûtée, scandalisée. » « Le vote des militants et sympathisants est purement et simplement bafoué. Rendez-moi mes 2 euros ! », lance Guillaume B., médecin à Strasbourg, en allusion à la somme réclamée pour participer à la primaire. Un militant socialiste se dit « totalement perdu », avec « l’impression de [s]’être fait avoir encore une fois ».

Certains reprochent à Manuel Valls d’avoir pris position publiquement. « Il peut voter pour qui il veut – le vote est confidentiel –, mais il devait soutenir Hamon en public, c’était la moindre des choses, s’agace Gilles P., cadre à Blaye, en Gironde. Un traître, un mauvais perdant et le principal artisan de la déconfiture de la gauche, voilà ce que l’on retiendra de lui. »

L’argument du « vote utile » brandi par le candidat malheureux à la primaire ne les convainc pas. « Je crois que ce qui me gêne le plus c’est l’excuse de “lutte contre le FN”, explique Vanessa B. Au second tour, je pourrais entendre/comprendre le vote utile », mais pas au premier.

Valls accusé de faire le jeu de l’abstention et du FN

La déception est à la mesure de l’espoir que chacun plaçait dans son suffrage. Aaron H., étudiant de 22 ans à Montpellier, a voté pour la première fois de sa vie lors de la primaire de la gauche. Mais cette première expérience est déjà une désillusion :

« C’était la première fois que je pouvais participer à la prise de décision dans mon pays, que mon avis, que ma vision de la France serait pris en compte, et j’ai choisi Benoît Hamon. Son projet incarne la France dans laquelle je veux vivre, grande et généreuse. La décision de Valls est pire qu’une trahison, c’est une insulte. Elle nous montre que finalement on ne compte pas. Elle prouve aux abstentionnistes qu’ils ont raison de ne plus croire en la politique puisqu’au final ce sont toujours les mêmes qui décident. »

Comme lui, Véronique F., enseignante, accuse Manuel Valls de « faire le jeu de l’abstention, car finalement, qu’on vote ou pas, notre choix n’est jamais respecté. Comment peut-on être plus pyromane à trois semaines du premier tour ? ».

Pis, en reniant sa promesse de soutenir le vainqueur de la primaire, l’ex-premier ministre ferait le lit du Front national, selon certains. « Le choix de Manuel Valls montre qu’il n’a aucun sens de ce que l’engagement sur l’honneur signifie. Cela alimente l’idée du tous pourris de Le Pen », se désole Nicolas B., de Lyon. Un autre déçu estime que Manuel Valls donne corps à ce qui nourrit le vote frontiste : « L’UMPS tant clamé par le FN, plus aucune croyance dans la parole politique, et le rejet des classes politiques classiques. »

« Traiter Valls de traître, c’est l’hôpital qui se fout de la charité »

Le ton est différent lorsque les électeurs ont voté pour Manuel Valls à la primaire. La plupart disent comprendre et approuver son positionnement, jugé « cohérent ». « Les divergences politiques sont bien plus grandes entre Valls et Hamon, qu’entre Valls et Macron, observe Dominique, commercial à Nantes.

A Marseille, Soazig P. se dit, elle aussi, « 100 % d’accord avec Valls » :

« J’ai voté pour Valls à la primaire et je vais faire comme lui, voter pour Macron. Hamon n’a fait aucun effort pour rassembler, ne serait-ce que le PS. Sa campagne n’est pas bien menée et ne suscite aucun espoir. Bien sûr, en votant à la primaire, on s’est engagé à soutenir le vainqueur, mais pas quoi qu’il fasse ! On n’a pas signé un chèque en blanc. »

Même Benoît C., qui a voté pour Benoît Hamon à la primaire, regrette que son candidat n’ait pas « cherché à rassembler la gauche ». « On est clairement en droit de s’interroger sur [sa] volonté [de] gagner. Je comprends donc la position de Manuel Valls et voterai probablement Macron », dit-il.

Quant aux accusations de trahison du candidat socialiste, elles font sourire les partisans de l’ancien premier ministre. « Je trouve assez drôle de voir Benoît Hamon donner des leçons de loyauté à Manuel Valls, lui qui a “pourri” le quinquennat de Hollande avec les frondeurs. C’est l’arroseur arrosé », s’amuse une électrice. « Traiter Valls de traître, c’est l’hôpital qui se fout de la charité », tempête une autre.

Malgré sa promesse, Manuel Valls ne pouvait pas soutenir le candidat socialiste, estime Pierre L., ingénieur au Havre (Seine-Maritime). « Il est normal que ceux qui croient que le programme de Hamon est mauvais ne le défendent pas. Le contraire serait d’une immense hypocrisie, insupportable : comment Valls pourrait soutenir celui qui l’a empêché de gouverner, l’a forcé à recourir au 49.3 ? De la même façon, qui pourrait imaginer Benoît Hamon soutenir M. Valls, si M. Valls avait gagné la primaire ? J’attends des hommes politiques des convictions, de la cohérence, qui doit être au-dessus de la logique des partis », conclut-il.

Auprès de ces électeurs, l’argument du vote utile semble faire mouche. « J’assume le caractère de vote utile que revêtira le mien en faveur d’Emmanuel Macron. Je n’ai pas envie de prendre le risque, même improbable de voir Mme Le Pen accéder au pouvoir », explique Jean-Marc D., jugeant le choix de Manuel Valls « responsable ».

« Le Parti socialiste vient juste d’exploser »

Effet corollaire du sentiment de trahison éprouvé par les électeurs favorables à Benoît Hamon, le système de primaires est remis en cause. « A quoi servait de faire des primaires si ensuite les socialistes sont incapables de soutenir le candidat choisi ?, s’interroge Livia M. C’est une farce qui dit bien la déliquescence de ce parti incapable d’agir pour monter un projet commun, de fédérer les électeurs et de battre le FN. »

« Ils ont tué la primaire et peut-être le PS par la même occasion », renchérit Pierre-Yves, enseignant dans le Finistère. Comme de nombreux autres votants à la primaire, il appelle les personnalités socialistes ayant rallié Emmanuel Macron à « démissionner du PS ». « Désolé M. Hamon, ces gens sans parole nous conduisent à fuir le PS et à nous tourner vers Jean-Luc Mélenchon », prévient-il.

Perçu par une partie des électeurs de gauche comme « le fossoyeur du PS », Manuel Valls lui aurait porté l’estocade finale et entériné la théorie des deux gauches irréconciliables. Rudy M., à Perpignan, en est convaincu :

« En marche ! est la suite logique du PS de droite. Or, nous autres électeurs sommes apparemment en majorité plutôt du PS de gauche. Le Parti socialiste vient juste d’exploser. »

Un certain nombre de personnes appellent d’ailleurs de leurs vœux une scission du parti. « Si ce soutien de Manuel Valls à Emmanuel Macron pouvait enfin provoquer la scission de ce PS qui réunit des courants si différents ! », espère Christine C. « L’explosion du PS est peut-être la meilleure chose qui puisse arriver aux électeurs de gauche à ce stade », renchérit une autre électrice. Ce scénario paraît désormais de plus en plus probable.