TV : « Les Etats-Unis de John Steinbeck », un voyage au bout de la désillusion
TV : « Les Etats-Unis de John Steinbeck », un voyage au bout de la désillusion
Par Josyane Savigneau
A voir aussi. Au fait de sa gloire, l’auteur des « Raisins de la colère » entreprend un périple à travers les Etats-Unis pour prendre le pouls de son pays (sur Arte à 23 h 10).
En 1960, John Steinbeck (1902-1968) a 58 ans. Son succès en littérature, la vie mondaine à New York, la paix de sa maison de Sag Harbor, dans la région des Hamptons, ne lui permettent plus, estime-t-il, de comprendre les Etats-Unis : « Je n’avais pas senti le pays depuis vingt-cinq ans. » Alors il décide d’entreprendre un périple à travers le pays : onze semaines et 16 000 kilomètres. C’est à cette aventure qu’est consacré le premier volet du Grand Tour des littératures.
Steinbeck transforme un pick-up en camping-car, le baptise « Rossinante », du nom du cheval de Don Quichotte, et se met en route avec Charley, son caniche. On lui a fortement déconseillé ce voyage, en raison de ses problèmes de santé, mais il n’en a cure : « Je ne peux pas abandonner toute ardeur pour tenir le ballon un peu plus longtemps. »
Cette traversée, qui le mène jusqu’à sa Californie natale, puis au Texas, d’où est originaire sa femme et à La Nouvelle-Orléans, vaut au spectateur du documentaire de magnifiques images. Mais pour Steinbeck, en dépit du bonheur de se reposer, en Californie, sous les séquoias « qui imposent le silence et le respect », c’est un voyage au bout de la désillusion. A la fin, il écrira à son éditeur : « Je me creuse la tête pour savoir comment décrire cette déchéance. Tout pourrit de l’intérieur. »
La prospérité des années de l’après-guerre, le développement du tourisme, la frénésie de consommation, tout lui paraît source de gaspillage. Les villes qu’il a connues, Chicago, Monterey, sont méconnaissables : « Je me demande pourquoi le progrès ressemble tellement à la destruction. »
Et quand il arrive dans le Sud, on est au plus fort des émeutes raciales. A La Nouvelle-Orléans, il voit une petite fille noire entrer sous bonne garde dans une école blanche, tandis que devant le bâtiment des mères blanches hurlent leur colère, le visage déformé par la haine. Ces cris le rendent malade. Tout comme la réflexion d’un chauffeur de taxi – il a délaissé sa voiture car elle a des plaques minéralogiques de New York : « Ce sont ces salauds de juifs de New York qui excitent les Noirs, il faudrait les faire disparaître. » En arrivant en Virginie, il n’aspire qu’à retrouver sa maison et son lit. Et même son prix Nobel, en 1962, ne le guérira pas de l’Amérique.
Le Grand Tour des littératures : Les Etats-Unis de John Steinbeck,d’André Schäfer et Jascha Hannover (All., 2015, 55 min).