« Les jeunes Tunisiens ne pensent qu’à émigrer, alors on les envoie à la Biennale de Venise »
« Les jeunes Tunisiens ne pensent qu’à émigrer, alors on les envoie à la Biennale de Venise »
Propos recueillis par Roxana Azimi (contributrice Le Monde Afrique)
Lina Lazaar organise le tout premier pavillon tunisien à la biennale italienne d’art contemporain. Les kiosques seront animés par des aspirants à l’émigration.
Vice-présidente de la Fondation Kamel Lazaar et créatrice du festival Jaou, une caravane culturelle itinérante, Lina Lazaar organise, sous le libellé « The Absence of Paths », le tout premier pavillon tunisien à la Biennale de Venise, grand-messe de l’art contemporain qui se déroulera du 13 mai au 26 novembre 2017. L’idée ? Rompre avec les barrières nationales et favoriser la circulation des hommes comme des idées.
Comment vous est venue l’idée d’un pavillon tunisien à la Biennale de Venise ?
Lina Lazaar C’est né par accident. Nous travaillions depuis sept mois sur la prochaine édition du festival Jaou [du 12 au 16 mai à Tunis], sur la question de la migration, sur cette jeunesse qui est en mode exode, qui veut partir sans savoir où aller parce qu’elle trouve son horizon bloqué. On évoque souvent l’immigration africaine pour des raisons économiques, politiques ou à cause de la guerre. On parle trop peu de l’immigration qui n’est pas motivée par des raisons extrêmes. On a donc commencé à travailler sur une dizaine de pavillons animés par cette jeunesse post-révolutionnaire qui veut partir.
Il suffit de s’asseoir à la terrasse d’un café pour entendre une quinzaine de jeunes qui ne songent qu’à ça. On voulait moins parler d’eux que les faire parler. Certains vont monter des pièces, d’autres des courts métrages. Dans ce cadre, nous avons demandé des financements à l’Union européenne. On nous a demandés en retour d’imaginer un trait d’union avec l’autre rive de la Méditerranée. On m’a incité à creuser la question et j’ai pensé à la Biennale de Venise, sans trop y croire. Nous étions en février, c’était très tard.
Pourquoi tisser un lien avec Venise ?
La Biennale de Venise a un côté utopique. On passe d’un pavillon national à un autre sans se poser la question de la circulation des hommes, alors même que nous vivons dans un monde de nationalisme extrême. Le pavillon tunisien sera le premier pavillon national « apatride », car il offre l’opportunité de repenser la question de la citoyenneté.
Comment ?
On va avoir trois kiosques qui délivreront un visa universel donnant un accès illimité à tous les pays. Ce papier ressemble à s’y méprendre à tous les visas qu’on connaît, avec un codage, des verrous de sécurité. On les fait imprimer par le même imprimeur qui produit les passeports tunisiens. Le visiteur aura la possibilité de garder le visa sur un papier ou de le coller sur son passeport, ce qui pourrait lui valoir des questions lors du passage à l’immigration dans certains pays.
Un premier kiosque est situé au sein de l’Arsenal, où se trouve une partie de la biennale. Un autre prend pied dans un espace utilisé pendant la première guerre mondiale par la marine nationale, au bord de l’eau. Le troisième kiosque sera en ville, chez l’un des plus anciens revendeurs de journaux de Venise, rue Garibaldi. A cela s’ajoute une plateforme en ligne avec des contributions de sociologues, de philosophes, de cartographes et même de la NASA, sur la question de la migration.
L’idée avec ce projet, c’est de faire comprendre que l’art, ce n’est pas juste produire des objets mais faire de la médiation culturelle. On aimerait aussi organiser une virée en bateau de Venise à Tunis, une sorte de marathon de réflexion de vingt-deux heures sur la question de la migration inversée.
Qui animera les kiosques ?
Ils seront animés par des aspirants à la migration. Un policier vénitien devrait aussi contribuer à la plateforme.
Le ministère tunisien de la culture apporte-t-il un quelconque appui ?
Le projet est sous le patronage du ministère, mais il est exclusivement soutenu par des mécènes privés tunisiens.