Colère des Egyptiens après la série d’attentats antichrétiens
Colère des Egyptiens après la série d’attentats antichrétiens
Par Aziz El Massassi
Face aux attaques contre des églises qui ont fait au moins 45 morts, les habitants de Tanta interpellent le gouvernement égyptien au renouvellement du discours religieux.
L’église Saint George (Mar Guirguis) de Tanta (Egypte) après l’attentat le 9 avril. | NARINAM EL-MOFTY / AP
« Comment sont-ils entrés ? Comment sont-ils entrés ? ». Désignant du doigt une poutre maculée de sang, Nadia*, une fidèle copte de 52 ans vêtue de noir, laisse sa colère éclater ce dimanche 9 avril. L’église Saint George (Mar Guirguis) de Tanta, la grande ville située dans le gouvernorat de Gharbeya, dans le delta du Nil, a été frappée par un attentat, ce dimanche des Rameaux, qui marque l’entrée dans la semaine sainte précédant Pâques. Plus au nord, une explosion près de l’église Saint Marc (Al Marqesseya) d’Alexandrie a porté le nombre total de victimes à au moins 45 morts et plus d’une centaine de blessés. Une série d’attaques revendiquée par l’Etat islamique, qui s’était déjà tragiquement illustré avec l’attentat de l’église Saint Pierre du Caire en décembre dernier et des violences contre les coptes du Sinaï désormais contraints à l’exil.
Réponse sécuritaire
Dans un pays tenu fermement par une armée omniprésente et une police invasive, ce défaut de sécurité exaspère les chrétiens. « Quel est ce gouvernement qui n’assume pas son rôle ? », s’emporte encore Nadia, à laquelle ses coreligionnaires n’hésitent pas à faire écho, même si certains lui conseillent de se taire. « Quel est ce gouvernement dont ni l’armée ni la police ne semble effrayer ces jeunes terroristes qui s’en prennent à nous sans raison ? Comment se fait-il qu’on puisse entrer dans nos églises sans véritable contrôle ? Nous sommes pris pour cible, le gouvernement le sait. Pourquoi rien n’est fait pour empêcher ces crimes ? ». « Nous voulons savoir, comment ont-ils pu entrer ? », répètent encore sans cesse plusieurs fidèles qui entourent Nadia.
Face à ces interrogations, les autorités égyptiennes ont tenté d’afficher un dynamisme sécuritaire encore plus ferme et symbolique qu’à l’accoutumée. De retour d’une visite aux Etats-Unis où il s’est fait fort de se présenter comme le plus fiable rempart contre les extrémistes, le président Abdel Fattah Al Sissi a annoncé dans la soirée de dimanche l’élargissement pour trois mois de l’état d’urgence sur tout le territoire, mesure jusque-là limitée au Nord Sinaï où l’armée combat les militants de l’Etat islamique.
Le responsable de la sécurité du gouvernorat de Gharbeya a quant à lui été purement et simplement limogé par le ministre de l’intérieur. Ce dernier, ainsi que son homologue de la justice sont d’ailleurs convoqués ce lundi par le parlement égyptien pour faire le point sur les défaillances sécuritaires qui conduisent à ces tragédies à répétition. Les députés devraient également précipiter le vote d’un amendement destiné à accélérer les procédures judiciaires en matière de terrorisme.
Renouvellement du discours religieux
S’ils reconnaissent la nécessité d’une amélioration de la situation sécuritaire, certains activistes et intellectuels chrétiens craignent une surenchère vaine. « La question sécuritaire n’est qu’une partie de la réponse à apporter face à ces violences extrémistes », estiment le militant copte Ishak Ibrahim, membre de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels, présent sur place à Tanta. « Il est absolument indispensable que l’Etat lutte contre cet extrémisme à travers un investissement massif dans l’éducation. En l’état actuel des choses, ce que le gouvernement qualifie de renouvellement du discours religieux ne représente qu’une énième forme de propagande d’Etat. Nous avons besoin d’actions concrètes ».
Devant l’église Saint George de Tanta, des riverains chrétiens et musulmans viennent se recueillir. Installé sur un bout de trottoir, devant un magasin de vêtements pour femmes et une boutique qui a fermé son rideau de fer, un groupe de quatre femmes musulmanes, également vêtues de noir, veulent exprimer leur soutien à leurs « frères et sœurs chrétiens ». N’ayant que vaguement entendu parler de la réforme du discours religieux, Iman* tient à marquer sa distance avec les auteurs de ces crimes. « Ces gens racontent à nos jeunes que les chrétiens sont des mécréants, qu’ils iront en enfer, qu’il faut s’en débarrasser, interpelle-t- elle vivement. Nous voulons montrer que nous sommes unis face à ces horreurs, que nous sommes excédés que des criminels se servent de notre religion ».
* les prénoms ont été modifiés