Centrafrique : les douze mois d’un président face à la crise
Centrafrique : les douze mois d’un président face à la crise
Par Camille Laffont
En fonction depuis le 30 mars 2016, Faustin-Archange Touadéra est confronté aux multiples blocages d’un Etat en faillite.
Son élection, en février 2016, puis son investiture le 30 mars, avaient suscité l’espoir dans un pays ravagé par la guerre civile. Premier président de la République centrafricaine élu après la crise, successeur du gouvernement de transition de Catherine Samba-Panza (2014-2016), Faustin-Archange Touadéra avait la lourde responsabilité de reconstruire un Etat en faillite. Mais aujourd’hui, les violences perdurent et le pays ne semble trouver aucune issue à la crise. Une année de mandat jalonnée d’entraves politiques, économiques et structurelles, qui pose la question : le président Touadéra est-il à la hauteur d’une mission qui paraît impossible ?
Avril 2016 : un dialogue impossible
Du 12 avril au 18 mai 2016, les représentants des principaux groupes armés du pays se succèdent à Bangui, à l’invitation du nouveau président. FPRC, RPRC, MPC, UPC… Autant d’acronymes qui se disputent l’héritage de la Séléka, la coalition de mouvements rebelles arrivée au pouvoir en mars 2013 avant d’en être chassée par l’intervention militaire française Sangaris, déclenchée en décembre de la même année. Les miliciens contrôlent toujours l’est et le nord du pays, soumis aux affrontements entre factions rivales.
D’après un rapport d’experts de l’ONU daté du 11 août 2016, Faustin-Archange Touadéra se heurte alors aux revendications des ex-Séléka, qui exigent des portefeuilles dans le nouveau gouvernement. Une requête inacceptable pour l’équipe en place. La présidente de la transition, Catherine Samba-Panza, avait intégré dans l’exécutif des politiciens proches de la Séléka, majoritairement musulmane, et des anti-balaka, une milice composée surtout de chrétiens et d’animistes. Selon les chercheurs Mathilde Tarif et Thierry Vircoulon, de l’Institut français des relations internationales (IFRI), « cette stratégie d’association des modérés des deux camps ennemis a conduit à une surenchère des demandes de nomination. »
Juillet 2016 : une « économie criminelle »
Dans son discours des « cent jours » à la présidence de la République, le 9 juillet, Faustin-Archange Touadéra réclame « la levée totale de l’embargo sur la commercialisation des diamants, qui a privé l’Etat d’énormes ressources et encouragé le trafic illicite ». Aujourd’hui, l’une des principales richesses du pays est encore pour une bonne partie aux mains des divers groupes rebelles, faute d’en avoir sécurisé les gisements. Mathilde Tarif et Thierry Vircoulon alertent sur « un basculement dramatique de l’économie informelle à l’économie criminelle », qui alimente les violences entre bandes armées et entretient la corruption au sein de l’administration.
Octobre 2016 : une souveraineté de façade
Le 31 octobre, l’opération Sangaris touche officiellement à sa fin. C’est désormais aux casques bleus de la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (Minusca) que revient le maintien d’une paix précaire dans le pays. Mais leur efficacité est contestée par la population : une semaine plus tôt, des organisations de la société civile centrafricaine ont déclaré Bangui « ville morte », le temps d’une journée, pour fustiger l’inaction des troupes onusiennes face aux violences. Le premier ministre, Simplice Sarandji, enjoint la population à boycotter la grève, mais les Banguissois ne suivent pas son appel et désertent les rues. Un aveu d’impuissance pour le fragile régime central. « Politiquement, la Minusca est le seul acteur à Bangui. C’est elle qui donne la direction au gouvernement », estime Thierry Vircoulon.
Novembre 2016 : une relance à financer
Ancien professeur de mathématiques, Faustin-Archange Touadéra ne rechigne pas à sortir sa calculette : son administration en faillite dépend de la bonne volonté des donateurs publics et privés, auxquels il doit consacrer la plupart de ses déplacements officiels. Le 17 novembre, il se rend à Bruxelles. Devant un parterre de bailleurs de fonds internationaux, il présente un plan de relance sur cinq ans estimé à 3,1 milliards d’euros : il revient à Bangui avec 2,2 milliards d’euros de promesses de dons. Puis, le 13 janvier 2017, il réclame 21,5 millions d’euros pour aider le Programme alimentaire mondial (PAM) à « prévenir le pire » dans son pays. Et dix jours plus tard, il sollicite l’aide du Fonds monétaire international (FMI) et reçoit la visite de sa directrice générale, Christine Lagarde, à Bangui : le FMI approuve un prêt de 116 millions de dollars (environ 110 millions d’euros).
Février 2017 : une justice embryonnaire
Le 16 février, la Cour pénale spéciale centrafricaine (CPS) se dote enfin d’un procureur. Le colonel Toussaint Muntazini Mukimapa est chargé d’instruire les crimes les plus graves commis dans le pays depuis 2003. Annoncée depuis 2014, la CPS ne sera pas effective avant la fin de l’année 2017. Le financement de cette juridiction exceptionnelle, composée de juges internationaux et centrafricains, a toutefois accaparé le budget des aides allouées à la justice, selon Mathilde Tarif et Thierry Vircoulon. Au détriment de la formation du personnel policier, pénitentiaire et judiciaire, dont les maigres effectifs suffisent à peine à couvrir la capitale et ses environs proches.
Mars 2017 : une armée désarmée
Le 20 mars, après un discours au siège des Nations unies, à New York, Faustin-Archange Touadéra est de passage à Paris. Parmi les enjeux de ces visites : la levée de l’embargo sur les armes imposé au pays depuis la crise de 2013. Privées de tout matériel létal, les Forces armées centrafricaines (FACA) doivent composer avec les rares vestiges laissés par les précédents gouvernements. Leur entraînement par la Mission de formation de l’Union européenne (EUTM) ne suffit pas à changer la donne face à des milices régulièrement approvisionnées grâce aux trafics en tous genres. Quant au processus de désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR) censé ramener les milices dans le giron de l’Etat, il ne connaît « aucune avancée », selon Thierry Vircoulon : « Les groupes armés jouent un double jeu. Ils participent aux réunions mais ne suivent pas sur le terrain. » Sept mois après le départ de Sangaris, seule la capitale et ses environs sont partiellement sécurisés. L’Etat est toujours absent dans le reste du pays.
Avril 2017 : le « dilemme » de Touadéra
A Bangui, le président Touadéra célèbre sans faste le premier anniversaire de son mandat. Une énième crise politique couve. « Des petits jeux de bac à sable sans aucun intérêt pour la situation générale », commente Thierry Vircoulon, pour qui le pays vit toujours « sans gouvernement effectif ». La faute, selon lui, à une « culture politique » bien ancrée dans les institutions : « L’élite au pouvoir est centrée sur Bangui et Paris, mais la Centrafrique n’est pas son affaire. » Pour le chercheur, l’exécutif est aujourd’hui confronté à un « dilemme » : « Restaurer la Centrafrique de François Bozizé [2003-2013] ou tenter une vraie réforme de gouvernance en changeant les mauvaises pratiques. »
Il reste encore quatre années au président Touadéra pour satisfaire, au moins en partie, les espoirs que les Centrafricains, exténués par des années d’instabilité, ont placé en lui.