Les funérailles de plusieurs victimes de l’attentat d’Alexandrie ont été célébrées au monastère Mar Mina, le 10 avril. | MOHAMED EL-SHAHED / AFP

L’accès à la cathédrale Saint-Marc d’Alexandrie est strictement contrôlé. Seuls les fidèles venus prendre part à la prière du lundi saint sont autorisés à pénétrer dans la rue où se trouve l’église copte. L’axe est fermé par des barricades et un cordon de policiers. Les habitants des immeubles entre lesquels le bâtiment religieux est encastré sont refoulés. La cathédrale a été visée par un attentat dimanche 9 avril, lors de la fête des Rameaux, quelques heures après une explosion dans une église de Tanta, une ville située dans la région du delta du Nil. Les attaques, revendiquées par l’organisation Etat islamique (EI), ont fait au moins 46 morts.

Des morceaux de verre, celui des devantures de commerces soufflées par la détonation, lorsqu’un homme a fait exploser sa ceinture aux portes de la cathédrale à la sortie de la messe dimanche, longent le trottoir. Des policiers en civil surveillent les alentours. Yvonne, 40 ans, s’éloigne pour parler à l’abri des regards. Elle porte le noir. « Les femmes coptes les plus pieuses s’habillent toujours en noir durant la semaine sainte. Je n’ai jamais suivi cette coutume. Mais aujourd’hui, je porte le deuil. » Selon cette fidèle, l’église était bondée lundi pour la prière. « On a besoin de se rassembler. On est très en colère. Il y a eu tant de victimes dimanche. Et le pire est encore devant nous », dit Yvonne, qui s’apprête à visiter les blessés de l’attentat.

« C’était le chaos »

Le matin, les coptes ont enterré plusieurs des victimes au cimetière du monastère Mar Mina, à l’ouest d’Alexandrie. Des critiques ont de nouveau fusé contre le manque de sécurité autour des lieux de culte. Des funérailles selon le rite musulman ont aussi été rendues aux trois policiers et aux passants tués dans l’attentat. « C’est bien sûr l’église qui était visée. Mais la bombe n’a pas fait de distinction entre chrétiens et musulmans », dit Mohamed, qui tient une boutique de confiseries à quelques mètres de l’édifice.

Il était là, dimanche, et suivait « hébété » à la télévision les nouvelles de l’attentat de Tanta, quand il y a eu cette détonation devant la cathédrale. L’homme, qui porte la barbe, n’a pas trouvé le sommeil depuis. « Je n’ai jamais entendu un son aussi fort de ma vie. Un nuage de poussière a envahi la rue. C’était le chaos. J’ai vu le corps d’une petite fille démembré », se rappelle le commerçant, en écoutant un enregistrement de psalmodies du Coran.

Tandis qu’il parle, une équipe d’enquêteurs quitte le périmètre bouclé devant la cathédrale. Mardi 11 avril au matin, les noms des assaillants qui ont commis les attentats contre les églises d’Alexandrie et de Tanta n’étaient toujours pas connus. Le Parlement doit, dans la journée, approuver l’état d’urgence pour une période de trois mois, décrété peu après les attaques par le président Abdel Fattah al-Sissi et entré en vigueur lundi. L’exercice s’annonce comme une simple formalité, alors que la chambre des députés est acquise au pouvoir.

L’état d’urgence est déjà appliqué dans une partie de la péninsule désertique du Sinaï, où l’EI sévit. La région est le théâtre d’une insurrection djihadiste qui s’est intensifiée depuis la destitution par l’armée, en 2013, de l’ancien président Mohamed Morsi, ce membre de la confrérie des Frères musulmans qui a occupé le pouvoir pendant un an. Les conséquences du rétablissement de cette mesure sécuritaire, qui a été en vigueur pendant trente ans lorsque Hosni Moubarak dirigeait l’Egypte, restent encore floues. Le maréchal Sissi jouit déjà de vastes pouvoirs, et toute forme d’opposition est réprimée.

Selon le député Yehia Kedouani, membre de la commission de défense et de sécurité nationale cité par l’AFP, l’état d’urgence va permettre de maintenir en détention, pendant quarante-cinq jours, des « éléments terroristes actifs qui sont connus des services, mais pour qui il n’y a pas de preuves matérielles permettant de les traduire en justice ».

Refus des amalgames

Dans les rues d’Alexandrie, la deuxième ville du pays, bordée par la Méditerranée, les habitants se gardent de commenter cette décision, de peur d’oreilles indiscrètes. Non loin de la cathédrale, une vieille femme se lance dans des invectives contre les musulmans. « Vous êtes tous des Daech [l’acronyme arabe de l’EI] ! » Des adolescents ricanent, des femmes voilées la regardent d’un air sévère.

Nabil, qui se rend tous les matins à l’église Saint-Marc pour y recevoir la bénédiction, affirme qu’il n’y a pas eu de destruction à l’intérieur du bâtiment. S’il est amer face à la montée de courants fondamentalistes musulmans dans sa ville depuis les années 1980, cet Alexandrin refuse les amalgames entre islam et terrorisme. Il a accouru, dimanche, devant la cathédrale, peu après avoir entendu, de sa maison pourtant éloignée, le bruit de l’explosion. Dans son magasin, ce chrétien a accroché des photographies des papes coptes successifs.

Malgré les attentats, la visite du pape François, attendu en Egypte les 28 et 29 avril, est maintenue

Théodore II, le chef copte orthodoxe, se trouvait dans l’église Saint-Marc lorsque l’attentat s’est produit aux portes de la cathédrale. Si l’Eglise copte orthodoxe a rapidement réagi dimanche pour indiquer que le pape Théodore II n’avait pas été blessé dans l’attaque, elle n’a pas dit s’il était clairement visé. Les autorités non plus. Pour Nabil, comme pour d’autres coptes de la ville, c’est toutefois une évidence. « Notre pape est dans la ligne de mire des islamistes depuis 2013. Les islamistes disent que la révolution du 30 juin [pour réclamer la démission de Mohamed Morsi] était un mouvement copte. C’est tout à fait idiot. La majorité des Egyptiens a soutenu ces manifestations », affirme-t-il.

La visite du pape François, attendu en Egypte les 28 et 29 avril, est malgré tout maintenue, selon des responsables du Vatican qui s’exprimaient lundi. Des mesures de sécurité drastiques devraient entourer ce déplacement. Lundi, le ministère de l’intérieur a annoncé que sept personnes soupçonnées d’appartenir à l’EI avaient été tuées lors d’échanges de tirs avec les forces de sécurité à Assiout, dans le sud de l’Egypte. D’après les autorités, ces individus préparaient un attentat contre des chrétiens.

Malgré la peur de nouvelles attaques contre la minorité copte, Yvonne se rendra tous les jours à l’église Saint-Marc pour les offices de la semaine sainte et la fête de Pâques. Un couple âgé renchérit : « On se sent très mal à l’aise après les attentats. Mais on n’abandonnera pas notre foi, ni nos églises. »