Comment est né Ansaroul Islam, premier groupe djihadiste de l’Histoire du Burkina Faso
Comment est né Ansaroul Islam, premier groupe djihadiste de l’Histoire du Burkina Faso
Par Morgane Le Cam (contributrice Le Mone Afrique, Ouagadougou)
Le Burkina à l’épreuve du terrorisme (3/6). C’est après un séjour au Mali qu’Ibrahim Malam Dicko a fondé ce groupe. Aujourd’hui, il veut se rapprocher de l’Etat islamique.
Vendredi 16 décembre 2016. A Nassoumbou, une commune plantée dans les dunes de sables de la région du Sahel, douze militaires tombent sous les balles tirées par une trentaine d’hommes. Au Burkina Faso, jamais une attaque d’un poste de sécurité n’a fait autant de morts. Une semaine plus tard, les autorités découvrent, sur Facebook, une revendication portée par un groupe jusqu’alors encore inconnu : Ansaroul Islam.
Le message est signé par un certain Ibrahim Malam Dicko. Dans les bureaux de l’état-major de l’armée, on sonne l’alerte. Ce nom typique de l’ethnie peule ne leur est pas étranger. « Depuis deux ou trois ans, nous suivons des prêcheurs radicaux burkinabés. C’est comme cela que nous avons entendu parler de Malam », explique une source au sein de la gendarmerie. Les autorités comprennent qu’elles viennent d’assister à la naissance du premier groupe terroriste burkinabé de l’Histoire.
Assassinat de personnes suspectées de collaborer avec l’Etat, menaces dans les écoles, attaques contre les postes de sécurité… Depuis le début de l’année, Ansaroul Islam fait monter la pression dans le nord du Burkina Faso. « Nous n’arrivons pas à maîtriser leur capacité de nuisance, car nous avons laissé trop de temps s’écouler », avoue un haut gradé.
Un homme « pieux » et « discret »
A Djibo, chef-lieu de la province du Soum, Malam est connu depuis des années. C’est un enfant de la province, il est intégré. Il est né dans les environs de Soboulé, un village situé au nord de Djibo, à une poignée de kilomètres de la frontière malienne. Passé par l’école républicaine classique puis par l’école coranique, au Burkina Faso puis à l’étranger, il a épousé la fille d’un des grands imams de Djibo.
Malam est discret comme un homme « pieux » et « discret ». Alors quand il crée Al-Irchad, une association pour la promotion de l’islam, la population de Djibo approuve, le gouvernement aussi. En juillet 2012, l’Etat délivre à Al-Irchad un récépissé officiel. Malam crée son école coranique, donne des prêches dans sa mosquée et sur les ondes de la LRCD et de la Voix du Soum, deux radios locales.
Lors de ses interventions, les valeurs qu’il défend sont bien loin des idées terroristes qu’il prône aujourd’hui. Son discours, décrit comme « tolérant » et « égalitariste », séduit. « Malam a exploité des tensions latentes. A la radio, il mettait les Peuls et les Rimaïbé sur un pied d’égalité, en disant qu’il ne fallait pas faire de différence entre nous, que nous étions tous frères », relate un Peul de Djibo.
Les Rimaïbé, descendants des esclaves faits par les Peuls au lendemain de leur conquête du Soum, au XVIIe siècle, sont majoritaires dans la province. Les trois chefferies coutumières peules, détentrices du pouvoir, continuent d’entretenir l’idée que les Rimaïbé restent leurs esclaves. Aussi, avec son discours égalitariste, Malam s’est-il attiré les faveurs des Rimaïbé. « Mais la chefferie a commencé à voir Malam comme quelqu’un qui venait disperser leur troupeau. Elle a senti qu’il était en train de mettre du sable dans leur couscous », analyse une source sécuritaire locale.
« L’élève veut dépasser le maître »
En 2015, Malam est de plus en plus isolé dans son fief. Il entreprend un voyage au Mali. Il sera arrêté par les forces françaises en septembre, avant d’être relâché mi-2016. De retour à Djibo, il a changé de discours. Malam s’est radicalisé. Au sein d’Al-Irchad, son extrémisme passe mal auprès de la majorité. Lui et ses plus fervents partisans décident de s’en extraire pour créer leur propre groupe : Ansaroul Islam.
Plusieurs sources estiment qu’ils ne sont qu’une centaine à être venus grossir les rangs du groupe local. Ansaroul Islam commence à intimider la population, interrompant des mariages et des baptêmes qu’ils jugent trop fastueux. « Nous avons pris cela comme un deuil, raconte timidement un habitant de Djibo. Nous ne sommes pas pour mais personne ne dit rien, par peur. »
Car l’un des axes de la stratégie du groupe est d’éliminer les Burkinabés qui s’opposent à leurs pratiques et les intermédiaires qui collaborent avec l’Etat. Malam veut faire reculer l’Etat dans le Nord et rêve de voir renaître le royaume peul du Macina, fondé au début du XIXe siècle par Sékou Amadou, un illustre marabout.
Un dessein qu’il partage avec celui que l’on présente comme son maître, le prêcheur malien Hamadoun Koufa, fondateur du Front de libération du Macina (FLM), un groupe affilié à Ansar Dine. Mais depuis quelques mois, les deux hommes se sont éloignés. « L’élève tente de dépasser le maître. Cela n’a pas plu à Koufa », résume une source sécuritaire.
De son côté, Malam désapprouve la décision de Koufa de s’être rallié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, une nouvelle coalition dont la naissance a été annoncée le 1er mars. Présidée par Iyad Ag Ghali, fondateur d’Ansar Dine, elle regroupe les grands pontes du terrorisme ouest-africain, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) à Al-Mourabitoune.
Une alliance avec l’EI ?
« Malam cherche à se rapprocher de l’Etat islamique [EI] », poursuit notre source militaire. Depuis l’été dernier, la branche ouest-africaine de l’EI, dirigée par Adnane Abou Walid Al-Sahraoui et baptisée Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), a multiplié les percées en territoires burkinabé et nigérien. L’alliance avec un groupe local tel qu’Ansaroul Islam lui permettrait de renforcer ses appuis. « Si les deux groupes cherchent vraiment à s’unir, ils vont vouloir faire un gros coup pour annoncer leur alliance », craint un haut gradé.
Depuis quelques semaines, les renforts militaires promis depuis des mois par le gouvernement commencent à arriver dans le nord du Burkina Faso. Cette présence militaire renforcée a rassuré les populations de la zone. A Ouagadougou et dans les autres grandes villes burkinabées, le doute s’est au contraire installé. Certains pensent que l’action gouvernementale a réellement fait perdre du terrain aux terroristes, d’autres craignent que cette éclaircie ne soit que le calme avant la tempête.
Le sommaire de notre série « Le Burkina à l’épreuve du terrorisme »
Dans le nord du Burkina Faso, pays longtemps épargné par le phénomène, la population vit désormais sous la menace djihadiste. Reportages et analyses.