« Malgré la reprise économique, la vague populiste fragilise la Bourse »
« Malgré la reprise économique, la vague populiste fragilise la Bourse »
Comment les marchés financiers perçoivent-ils la montée des mouvements populistes ? L’analyse de Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement de Carmignac.
Donald Trump à la base militaire d’Andrews, dans le Maryland (Etats-Unis). | CARLOS BARRIA / REUTERS
Le comportement positif des marchés financiers depuis le vote britannique en faveur d’une sortie de l’Union européenne, et depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis pourrait surprendre. Ces scrutins remportés sur des arguments ouvertement populistes auraient pu effrayer les investisseurs, par le saut dans l’inconnu qu’ils représentaient. Il n’en a rien été.
Depuis ces événements, les marchés actions américains et britanniques se sont appréciés respectivement de 12 % et 22 %, et la hausse des taux d’intérêt sur les dettes souveraines est restée très contenue. Est-ce à dire que le populisme est finalement compatible avec la croissance économique, la bonne santé des entreprises, la consommation des particuliers et les finances publiques ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord prendre la mesure du contexte.
Ces bifurcations politiques se sont produites pendant la plus nette reprise économique que nous ayons connue depuis la grande crise financière de 2008. Tous les indicateurs économiques confirment que le cycle économique américain s’est redressé à partir du début de l’année 2016, au moment précis où la Chine lançait son plan de relance. L’Europe, ainsi que le Japon, ont embrayé sur cette dynamique nouvelle environ six mois plus tard.
Dans le même temps, les banques centrales sont demeurées accommodantes, même la réserve fédérale américaine (FED), qui a accompagné de commentaires prudents son très léger resserrement monétaire, le 15 mars. C’est cela que reflètent pour l’essentiel les marchés, qui se sont dans leur grande majorité comportés de façon très comparable depuis un an.
D’ailleurs, le programme économique de Donald Trump n’a pas encore été mis en œuvre. La réforme de la loi sur la santé n’a pas passé l’obstacle du Congrès, et la grande réforme fiscale annoncée ne s’y est pas encore frottée. Quant au fameux Brexit, il vient tout juste d’entrer dans sa très longue période de négociation. Pour l’instant, l’impact marginal des tournants populistes sur l’économie reste donc du domaine de l’inconnu.
Et de ce point de vue, les risques ne doivent pas être sous-estimés. Dans le cas de la Grande-Bretagne, les entreprises ont de bonnes raisons de craindre que la fin de l’accès privilégié à l’une des toutes premières zones économiques du monde, dotée d’une réglementation harmonisée, sera très pénalisante.
Et sous l’angle macroéconomique, le Royaume-Uni devra relever le défi du financement de son très large déficit extérieur, à plus de 4 % du PIB, avec une monnaie affaiblie et des investissements étrangers inquiets. Quant aux consommateurs britanniques, c’est leur pouvoir d’achat qui risque d’être pénalisé par des importations renchéries. La décision politique du Taking back control (« reprendre le contrôle ») risque donc bien de s’accompagner d’un solde économique défavorable à terme.
Quant au slogan Making America great again, il exprime une philosophie mercantiliste assumée, dont les conséquences économiques sont peut-être mal comprises. Certes les institutions américaines ont déjà tempéré un peu les ardeurs de l’homme fort de la Maison Blanche. Mais la grande réforme fiscale demeure pour l’instant à l’ordre du jour.
Son succès, favorable en apparence à la croissance du pays, risque de bouleverser ses équilibres financiers. En effet, un plan de relance fiscale sur une économie au plein-emploi, des taux d’intérêt très bas, et une inflation déjà en accélération pourraient s’avérer explosifs pour le dollar, l’équilibre budgétaire américain et les marchés obligataires.
Cette approche populiste et mercantiliste repose sur une primauté de l’intérêt souverain immédiat, et une vision du commerce mondial comme un jeu à somme nulle dont il faut sortir gagnant. Non seulement cette conception est inévitablement source de tensions bilatérales, mais elle fait abstraction de l’interdépendance des grandes économies.
L’Europe a en réalité bien peu à gagner de la décision du Brexit, et le monde aurait beaucoup à perdre d’une victoire du nationalisme économique américain. Les marchés financiers devront se soucier de ces menaces quand la dynamique du cycle économique global ne suffira plus à dicter leur direction.