« Lava Jato » : l’ampleur de la corruption au Brésil s’affiche en vidéo
« Lava Jato » : l’ampleur de la corruption au Brésil s’affiche en vidéo
Par Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)
Les auditions judiciaires des cadres du groupe de BTP brésilien Odebrecht arrêtés dans le cadre de l’enquête « Lava Jato » ont été rendues publiques. Elles éclaboussent toute la classe politique.
Capture d’écran d’une vidéo, publiée le 12 avril, de l’audition judiciaire de l’ancien patron du groupe de bâtiment et travaux publics Odebrecht, Marcelo Odebrecht. | MICHELLE O'CONNELL / AFP
Un clic suffit désormais pour voir défiler en vidéo l’ampleur de la perversion du système politique brésilien : des dizaines et des dizaines d’heures d’auditions judiciaires rendues publiques, mercredi 12 avril, dans lesquelles les cadres du groupe de bâtiment et travaux publics (BTP) Odebrecht, au cœur du plus grand scandale de corruption de l’histoire du pays, confient aux enquêteurs les détails des échanges de mallettes et les faveurs rendues aux caciques de Brasília. « Le système politique brésilien est pourri et dysfonctionnel », résumait jeudi 13 avril, dans la Folha de Sao Paulo, l’éditorialiste Matias Spektor.
Vingt-quatre heures après la révélation de l’ouverture d’enquêtes impliquant la quasi-totalité de l’élite politique brésilienne, suspectée de corruption, la Cour suprême lève le voile sur ce que les médias qualifiaient de « délation de fin du monde » : les enregistrements de près de 80 cadres d’Odebrecht, prévenus dans le cadre de l’enquête « Lava Jato » (« lavage express »), l’opération qui a mis au jour l’affaire de corruption liée au groupe public pétrolier Petrobras. Dans un pays de culture orale, comme le Brésil, le son et image donnent à ces aveux un impact retentissant.
Dans l’un des extraits, Marcelo Odebrecht, héritier du groupe du même nom, confirme ce que tous suspectaient : « Il n’existe pas un politicien élu sans caisse noire. »
« Oh chef, tu vas avoir une surprise »
Toutes les grandes figures de Brasília sont éclaboussées, notamment celle de Luiz Inacio Lula da Silva, président de 2003 à 2010. L’ancien syndicaliste, surnommé « Amigo » (« ami ») par Odebrecht, aurait reçu pour ses proches, le Parti des travailleurs (PT, gauche), ses alliés, quelque 40 millions de reais (12 millions d’euros) à la fin de son second mandat.
Le père de Marcelo Odebrecht, Emilio, qui avait confié par écrit qu’il avait alerté Lula de la voracité grandissante de son entourage, décrivant une meute d’alligators la « gueule ouverte » se transformant en crocodiles, détaille en riant sur sa vidéo qu’un alligator est moins gourmand qu’un crocodile. A cela s’ajoutent ses révélations sur les travaux de rénovations d’une résidence de villégiature à Atibaia, que le « Bouygues brésilien » aurait financé à la demande de l’épouse de Lula. « Oh chef, tu vas avoir une surprise », aurait dit Emilio à Lula.
L’actuel président, Michel Temer, aurait, lui, réclamé, le 15 juillet 2010, lors d’une rencontre à son bureau de Sao Paulo, pas moins de 40 millions de dollars, affirme Marcio Faria, un cadre d’Odebrecht. « Au cours de cette réunion, j’ai été impressionné par l’aisance avec laquelle on parlait de “contribution partisane”, sur ce qui était en réalité des pots-de-vin », ajoute par écrit l’ancien salarié.
« Je n’ai pas peur des faits »
Dilma Rousseff, présidente destituée en août 2016, n’est pas épargnée. « Lula, comme Dilma, avaient connaissance du montant, peut-être pas de la valeur exacte mais de la dimension de notre appui », assure Marcelo Odebrecht. Dans la litanie de politiciens achetés, Aecio Neves, candidat malheureux à la présidence de 2014 pour le Parti de la social-démocratie brésilienne, opposant du Parti des travailleurs, figure lui aussi parmi les récipiendaires de dessous de table millionnaires.
Des confessions « invraisemblables », s’est offusqué Lula, déjà inculpé dans le dossier. L’ancien chef d’Etat ne masque toutefois pas un certain soulagement dans ce grand déballage, qui ne vise plus seulement son parti et ses alliés. « Les masques tombent, mais j’aurais voulu que ce ne soit ni le PT ni personne. »
Dans la soirée de jeudi, après une réunion de crise à Brasília, Michel Temer s’est exprimé dans une vidéo officielle : « Je n’ai pas peur des faits. Ce que je n’aime pas, c’est le mensonge. » Le président, très impopulaire, paraît aujourd’hui totalement disqualifié pour imposer son agenda de réformes structurelles prévu avant l’élection de 2018, confirmant l’image parfois utilisée d’un « président zombie ».