Référendum en Turquie : que sait-on du vote des Turcs installés en France ?
Référendum en Turquie : que sait-on du vote des Turcs installés en France ?
Propos recueillis par Arthur Laffargue
La diaspora turque dans l’Hexagone est issue de zones « rurales, souvent très conservatrices » et, lors des derniers scrutins, a montré une « forte adhésion au président Erdogan », explique le géographe Stéphane de Tapia.
Les Turcs sont appelés, dimanche 16 avril, à dire s’ils sont favorables ou non au projet de réforme constitutionnelle voulue par le président Recep Tayyip Erdogan, neuf mois après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016. Un « oui » et M. Erdogan concentrera presque tous les pouvoirs entre ses mains.
Les Turcs résidant à l’étranger pouvaient voter du 27 mars au 9 avril. Lors des élections précédentes, ceux qui sont installés en Europe ont apporté leur soutien à l’AKP, le parti islamo-conservateur de M. Erdogan. Stéphane de Tapia, directeur du département d’études turques de l’université de Strasbourg, explique que l’origine géographique et sociale de ces expatriés est la principale explication de ce vote ancré à droite.
Turquie : pourquoi Erdogan organise t-il un référendum ?
Durée : 04:21
Combien de Turcs résident actuellement en France ?
C’est très compliqué de le dire. La double nationalité française-turque n’est pas reconnue par la France, mais elle est légale en Turquie. Statistiquement, cela implique une grosse différence entre les recensements français, qui décomptent les nationaux turcs, et les chiffres turcs, qui additionnent tous les originaires de Turquie, même s’ils ont acquis la nationalité française. Donc les décomptes vont varier autour de 200 000 côté français à quelque 700 000 côté turc.
De quand date l’immigration turque en France ? Où s’est-elle installée ?
Un accord bilatéral sur l’immigration a été signé entre la Turquie et la France en 1965, mais les contingents les plus importants datent du début des années 1970. La première génération était composée d’hommes seuls. A partir du milieu des années 1970, le regroupement familial va également faire venir beaucoup de personnes.
En France, les concentrations de population se situent dans la région parisienne, en Ile-de-France et en Rhône-Alpes, et, dans une moindre mesure, en Alsace. Les foyers d’immigration sont très liés aux industries des années 1970, qui avaient besoin de main-d’œuvre non qualifiée.
De quelles régions de Turquie viennent ces immigrés vivant en France ?
En France, vous avez des populations extrêmement diversifiées. Ce phénomène s’appelle la « filière migratoire ». Des personnes originaires d’une petite région en Turquie se rassemblent dans une commune ou une petite région en France. Souvent, cela se fait par hasard au départ, en fonction des modalités de recrutement d’une entreprise en particulier.
Malgré tout, en France, les personnes immigrées viennent, contrairement à l’Allemagne, des régions qui étaient dans les années 1960 les plus marginales et les plus sous-développées. Donc des régions rurales, alors que les Turcs installés en Allemagne viennent plutôt de zones urbaines.
Cela influence-t-il leur vote ?
Tout à fait. Ce sont des populations qui sont rurales à la base, donc souvent très conservatrices. Par rapport aux élections, cela donne une majorité de votes AKP ou carrément MHP, c’est-à-dire l’extrême droite.
Au-delà de l’origine sociale, comment expliquer cette adhésion à l’AKP dans la diaspora turque ?
En France, et dans tous les pays européens, on a tellement chassé la gauche et l’extrême gauche qu’il ne reste sur le terrain que très peu d’associations laïques. Pendant très longtemps, des associations de gauche jouaient les intermédiaires avec les préfectures. Avec le temps, ce sont des gens proches du consulat et de la droite islamiste qui ont endossé ce rôle. Toutes les associations aujourd’hui sont liées à la droite, notamment à l’AKP avec les mosquées, avec des imams qui sont des fonctionnaires turcs mis à disposition par le gouvernement.
Comment ces associations de droite se sont-elles imposées ?
Cela résulte d’une mauvaise gestion de l’administration française. A force de rogner les subventions, les associations laïques ont perdu tout ce qu’elles pouvaient recevoir du côté du gouvernement français tandis que, côté turc, les subventions se sont renforcées. Maintenant on en paye les conséquences parce qu’on a effectivement des personnes qui sont de plus en plus sous contrôle de ladite « communauté ». Même s’il existe de gros clivages entre les Kurdes, les partisans de l’AKP ou encore ceux du MHP, on peut désormais parler de communautarisme, ce qui n’était pas forcément le cas dans les années 1970.