Insultes, lancers de pavés et même agressions au couteau. Le 30 mars, à Bruxelles, les abords de l’ambassade de Turquie, reconvertie en bureau de vote, ont été le théâtre d’affrontements entre opposants et partisans de la réforme constitutionnelle. Résultat : quatre blessés, dont deux par agression au couteau.

Attablée en compagnie d’autres militants au siège du Conseil démocratique kurde en France au début d’avril, Nursel Kilic se remémore ces événements. Militante du mouvement des femmes kurdes, elle assure que des membres de l’AKP, le parti du président Recep Tayyip Erdogan, sont à l’origine de la rixe qui a dégénéré dans la capitale belge. Les Turcs de l’étranger avaient jusqu’au 9 avril pour aller voter, le référendum étant prévu dimanche 16 avril en Turquie.

Son statut de réfugié a empêché Nursel Kilic d’aller se prononcer contre la réforme constitutionnelle qui pourrait aboutir à une concentration des pouvoirs entre les mains du chef de l’Etat. Mais elle reste persuadée que le « non » peut l’emporter. Les derniers sondages donnaient partisans et opposants de la réforme au coude à coude. « Quel que soit le résultat, la violence à l’encontre des Kurdes de Turquie va continuer. Erdogan va continuer à nous persécuter », ajoute Nursel Kilic.

« C’est Erdogan qui compte les bulletins à la fin »

Kurde de Turquie lui aussi, Mustafa Unlubayin manifeste régulièrement sur l’esplanade des Invalides à Paris pour exiger la libération des « prisonniers politiques » qui ont entamé une grève de la faim il y a près de deux mois en Turquie. N’étant pas réfugié mais expatrié, lui a eu le droit de se rendre au consulat de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) pour prendre part au scrutin. « Il n’y a eu aucun heurt », précise-t-il. Il a voté « non », parce qu’il ne veut pas « qu’Erdogan soit le seul décideur ». Et même s’il s’attend à une victoire du « oui », il continuera « à se battre pour la démocratie, comme depuis quarante ans ».

Pour ce scrutin, comme pour les précédents, les Turcs de France sont particulièrement divisés. Selon l’hebdomadaire Zaman France, aujourd’hui disparu, l’AKP avait recueilli en France plus de 50 % des suffrages lors des élections législatives de juin 2015. Soit dix points de plus que son score au niveau national. A l’inverse, près de 30 % des expatriés turcs en France avaient choisi le Parti démocratique des peuples (HDP). Plus du double du score obtenu finalement par ce parti prokurde classé à gauche.

A l’est de la France, nombreux sont les soutiens de l’AKP parmi la communauté turque. Le 12 mars, le ministre des affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a fait polémique en tenant un meeting pour le « oui » à Metz. Partisan de M. Erdogan, Ziya Bayindir est à l’origine de la venue du ministre. « En France, le système politique n’est jamais bloqué, le président peut à tout moment nommer un gouvernement, explique cet élu PS d’une petite commune de Moselle. En Turquie, si aucun parti n’a la majorité, ça peut traîner pendant des mois. Avec le futur système qu’instaurera la réforme constitutionnelle, le président pourra nommer son gouvernement sans problème. »

« Je pense que la presse occidentale exagère en parlant d’un système dictatorial, poursuit-il. On n’a jamais vu une dictature où il y a un référendum. »

La France « ferait mieux de se remettre en question »

Face aux critiques à l’encontre du régime d’Ankara, Sakir Colak, président du parti Egalité et justice basé à Strasbourg, assure que la France « ferait mieux de se remettre en question ». Il s’empresse de brandir en exemple le débat des cinq candidats à l’élection présidentielle française, qui a eu lieu sur TF 1 le 20 mars, excluant les « petits » candidats, ou le 49.3, un article qui permet l’adoption d’une loi sans passer par le Parlement. Preuves, selon lui, que le pays où il vit n’est pas irréprochable. « Je pense que la Turquie est plus démocratique qu’on ne le croit », dit-il.

Selon Stéphane de Tapia, directeur du département des études turques à l’université de Strasbourg, l’origine géographique des immigrés détermine en grande partie leur vote. Beaucoup de Turcs de France viennent de régions rurales et marginalisées de Turquie et votent AKP avant tout par conservatisme.

Alpaslan (qui n’a pas voulu donner son nom pour éviter « les problèmes » quand il retournera dans son pays) a voté « non » au référendum. Originaire d’une région rurale, il précise « avoir fait des études ». Dans son arrière-boutique, ce commerçant installé depuis plus de vingt ans à Paris explique avoir lu en détail le projet de réforme et dit craindre que l’islamo-conservateur Erdogan remette en cause la laïcité de l’Etat, à laquelle il est très attaché. « On est pour le régime parlementaire. Erdogan veut y mettre fin avec sa réforme, justifie-t-il, entouré de son fils et d’un ami. On refuse que la Turquie revienne au temps de l’Empire ottoman. »

Directeur de l’Astu, une association très implantée parmi la communauté turque d’Alsace, Muharrem Koç regrette que les expatriés manifestent « un attachement affectif plus que réel à leur pays d’origine ». L’Astu milite pour le droit de vote des étrangers, qui permettrait à ces derniers de se sentir mieux intégrés. Mais, selon M. Koç, « c’est l’inverse qui se produit » avec le vote au référendum, « cela éloigne davantage les Turcs de France du pays où ils habitent ».