Aimer Rousseau et Sankara, puis mourir sous les coups de la police à l’université de Niamey
Aimer Rousseau et Sankara, puis mourir sous les coups de la police à l’université de Niamey
Par Mohamed Amadou (Niamey)
Dans la capitale du Niger, Malah Bagalé a été enterré en présence d’une immense foule qui a suivi sa dépouille de la morgue de l’hôpital au cimetière Yantala.
Sa photo tournait en boucle sur les réseaux sociaux du Niger : visage clair et mince, fine moustache, lunettes et tenue soignée. Malah Bagalé avait 24 ans. Il était étudiant en troisième année de sociologie à l’Université Abdou-Moumouni de Niamey. Il est mort, lundi 10 avril, pendant l’assaut de la faculté par la police, pour disperser un mouvement de protestation lycéen et étudiant et vient d’être enterré ce lundi au cimetière Yantala de la capitale.
Dans la grande maison familiale du quartier « 105 Logements », le père et la mère de Malah ont attendu une semaine qu’on leur rende le corps de leur fils qui reposait à la morgue. Autour d’eux, la famille, des voisins, des camarades étudiants et des visiteurs originaires de Diffa, la région est du Niger actuellement dans la turbulence de la secte islamiste Boko Haram. Le père de Malah est un ingénieur agronome à la retraite. Il est d’ethnie kanourie, a une barbe blanche et se déplace avec une canne. Sa mère est peule, comme la première femme du papa qui accueille tout le monde chez elle. La mère de Malah est vêtue et voilée de noir, chapelet à la main. Elle travaille pour l’ONG chez Helen Keller International, à Diffa.
Panafricaniste et marxiste révolutionnaire
Dans cette famille de cadres, tout le monde a fait des études. La grande sœur de Malah est en master de droit à Ouagadougou. Les plus jeunes des cinq frères et sœurs de Malah sont restés à Diffa, où le jeune homme a fait toutes ses études jusqu’au bac. En 2013 et 2014, le lycéen est secrétaire général de la section lycéenne et collégienne de l’Union des scolaires du Niger (USN), dans sa région. « Un élève exemplaire », d’après Mounkaïla Abdo Laouali Serki, professeur de philosophie qui a présidé le jury du jeune homme au baccalauréat.
En 2014, il arrive à Niamey pour s’inscrire à l’université. Il s’installe chez sa belle-mère, auprès de ses onze frères et sœurs.
« Malah était un jeune homme calme, très logique, timide, aimant beaucoup la lecture. Ses auteurs préférés étaient Rousseau, Montesquieu, Machiavel et Stendhal », raconte un ami d’enfance et camarade d’études, Bintami Souley. Les auteurs français du XVIIIe siècle, une dynamique familiale d’engagement politique avec un père secrétaire général du Mouvement nigérien pour la société du développement (parti qui fut au pouvoir dans la région de Diffa) et des combats personnels ont poussé Malah vers les luttes anti-impérialistes.
Sur sa page Facebook, le jeune homme se définissait comme panafricaniste et marxiste révolutionnaire. L’image de Thomas Sankara y figurait en bonne place, à côté de la chronique des arrestations politiques de ces dernières semaines, des échanges autour des bonnes ou mauvaises pratiques du syndicalisme étudiant et des élections à l’Union des étudiants nigériens à l’Université de Niamey (UENUN).
« Il voulait aller jusqu’au bout, était contre l’injustice, pensant que tout s’arrache et que rien ne se négocie sur cette terre », poursuit son camarade.
Traces de sang encore visibles
Malah militait au sein de plusieurs associations et il avait participé en février à l’Espace Frantz-Fanon à une conférence du groupe Alternative, au titre du mouvement Agir contre le franc CFA. Il était très actif au sein de ce mouvement.
En troisième année de sociologie, le jeune homme voulait s’orienter vers un master pour travailler dans des institutions internationales et défendre les droits des minorités.
Son grand frère Djibril, étudiant en troisième année de droit, raconte la suite de l’histoire.
« Alors que je prenais le thé dimanche soir devant la porte, mon petit frère est arrivé avec le mot d’ordre de l’USN. Il m’a dit qu’il partirait tôt le lendemain matin. A 11h07, il m’a appelé pour me dire qu’il était à l’université et que le mouvement avait commencé. “On est en plein sit-in. La police a encerclé l’université. Tu ne pourras pas entrer.” Vers 13 heures, ses camarades m’ont appelé pour me dire qu’il était grièvement blessé et avait été transporté à l’hôpital. Je suis allé tout de suite aux urgences, mais je ne l’ai pas trouvé. Des photos de mon frère mort avaient commencé à être publiées sur les réseaux sociaux. Je suis allé à la morgue et je l’ai vu, à côté de deux autres corps. Sur les trois était écrit “non identifié”. Le lendemain, je me suis rendu à l’université. Les boutiquiers qui vendent du crédit téléphonique à côté de la petite porte à l’entrée m’ont raconté : mon petit frère a été victime d’un tir tendu de grenade lacrymogène à la tête, il s’est effondré. Ensuite, les policiers l’ont frappé au sol. Ils l’ont même frappé avec un pied de table. Puis ils l’ont traîné son corps jusqu’au bloc B et ils l’ont laissé là-bas. Les traces de sang sont encore visibles. »
Mardi, le gouvernement avait publié un communiqué affirmant que Malah Bagalé avait été « blessé suite à une chute » et qu’il s’était « librement présenté aux forces de l’ordre qui lui ont rapidement porté secours en l’évacuant à l’hôpital national de Niamey où il rendit l’âme à 17 heures ». Les responsables étudiants ont, eux, immédiatement évoqué un tir tendu de grenade lacrymogène.
Portes et fenêtres des dortoirs défoncées
Les premières investigations indépendantes, effectuées par la Commission nationale des droits humains (CNDH) confirment une intervention très violente de la police, alors même que les étudiants étaient bouclés à l’intérieur de l’université et n’avaient pas commencé à manifester : « L’irruption des forces de l’ordre au sein du campus, en violation des franchises universitaires, s’est effectuée dans une violence qui n’a épargné ni étudiants, ni personnes étrangères au mouvement. Et le bilan est grave : un décès constaté à la morgue de l’hôpital national de Niamey, 4 blessés graves hospitalisés à l’hôpital national de Lamordé et plusieurs dizaines de blessés aussi bien dans les rangs des étudiants que des forces de l’ordre », écrit la CNDH. La commission déplore aussi « d’importants dégâts matériels, les portes et fenêtres des dortoirs des étudiants défoncées, des vols d’ordinateurs portables, de téléphones cellulaires, de portefeuilles et de motos, quatre boutiques incendiées par les jets de grenades lacrymogènes ainsi qu’une dizaine de véhicules des forces de l’ordre endommagés. A cela, il faut ajouter des poursuites systématiques des étudiants jusque dans les mosquées, facultés, restaurants et bibliothèques et 83 étudiants, dont 11 jeunes filles, gardés à vue. »
Le bilan dressé par l’UENUN recoupe en grande partie ces chiffres mais fait part de trois morts et 200 blessés.
La CNDH demande l’ouverture d’une enquête judiciaire et exhorte les étudiants à « ne pas céder à l’esprit de vengeance et à reprendre les cours en vue de sauver l’année scolaire ».
Démission
Après trois jours de deuil national qui ont pris fin samedi, le comité exécutif de l’UENUN a lancé un mot d’ordre de suspension de toutes les activités académiques jusqu’à démission des deux ministres de l’enseignement supérieur et de la défense, qui assurait l’intérim du ministre de l’intérieur lundi. Quatre responsables étudiants sont toujours sous mandat de dépôt. Tous les autres ont été libérés. A l’université de Niamey, vidée de ses 23 000 étudiants, les salles restent fermées malgré la réouverture du campus samedi, sur ordre du président de la République Mahamadou Issoufou qui a reçu certains leaders scolaires la veille.
Sur la page Facebook de Malah Bagalé, ses amis ont ôté la photo de l’étudiant radieux aux rêves d’avenir pour poster celles de son cadavre et de l’immense rassemblement qui a suivi ses obsèques, lundi, avec la mention raisonnant comme un slogan : « Dernier hommage à notre Martyr !! » Malah Bagalé perdu le sourire et la vie.