Ligue des champions : la stupéfiante résurrection de Falcao
Ligue des champions : la stupéfiante résurrection de Falcao
Par Rémi Dupré
Flamboyant cette saison, l’attaquant colombien de Monaco affronte Dortmund, mercredi, en quarts de finale retour du tournoi.
L’attaquant monégasque Radamel Falcao, le 15 avril. | ERIC GAILLARD / REUTERS
Le football recèle son lot de dégringolades fulgurantes et de résurrections aussi soudaines qu’inattendues. En ce sens, le cas de l’attaquant colombien Radamel Falcao, dix-huit buts au compteur en Ligue 1, est emblématique. A 31 ans, le capitaine de l’AS Monaco traverse l’exercice 2016-2017 avec une insolente réussite, guide assagi d’une formation en tête du championnat de France (à égalité de points avec le Paris-Saint-Germain mais avec un match en moins) à cinq journées du terme de la saison. Dans l’ombre du prodige Kylian M’Bappe, 18 ans et auteur d’un doublé lors de la victoire acquise à l’aller (3-2) dans des circonstances anxiogènes, le buteur reçoit le Borussia Dortmund, mercredi, au stade Louis-II, en quarts de finale retour de Ligue des champions.
Ses quatre réalisations, dont un doublé inscrit face à Manchester City au tour précédent, font du « Tigre » l’un des pôles de stabilité du club de la Principauté dans la compétition. Sur la scène domestique, ses coups de griffes sont tout autant décisifs. Préservé par son entraîneur Leonardo Jardim après avoir été blessé durant plusieurs semaines à la hanche, Falcao a, une nouvelle fois, sauvé la situation, samedi 15 avril, contre Dijon, lors de la 33e journée de Ligue 1. Entré à l’heure de jeu alors que l’ASM était menée, le trentenaire a décoché deux coups francs salvateurs. Le premier, logé sous la transversale du gardien bourguignon Baptiste Reynet, a permis à Nabil Dirar, à l’affût, d’égaliser. Quant au second, en plein dans le mille, il a offert une victoire (2-1) inespérée aux Monégasques. « Falcao avait essayé deux coups francs cette saison, sans succès, a fait remarquer Jardim après cet exploit. Il a donné de l’efficacité à notre attaque. C’est un attaquant de grande qualité. »
Trajectoire chaotique
La trajectoire chaotique et sinueuse de Falcao le revenant reflète parfaitement les convulsions, errances et, a contrario, bonnes fortunes de la formation du Rocher sous l’ère du milliardaire russe Dmitri Rybolovlev, son propriétaire depuis décembre 2011. Qui se souvient encore de l’arrivée tonitruante du Colombien à l’ASM, à l’été 2013, première recrue de prestige d’un club de retour parmi l’élite française ? Acheté alors à prix d’or (une cinquantaine de millions d’euros), l’ex-attaquant aux cheveux longs de l’Atlético Madrid, client de l’agent portugais Jorge Mendes, incarnait surtout la « folie des grandeurs » du nouveau maître de l’ASM, enclin à enrôler la cohorte de joueurs (les Portugais Joao Moutinho, Carvalho, le Colombien James Rodriguez) que lui proposait alors l’influent imprésario.
Tête de gondole d’un club dépensier (166 millions investis sur le marché des transferts), Falcao voit sa carrière foudroyée, en janvier 2014, par un vilain tacle d’un joueur amateur de Chasselay (CFA) en 16e de finale de Coupe de France. Victime d’une lésion du ligament croisé, le natif de Santa Maria se lance dans une course contre la montre pour disputer le Mondial brésilien avec la Colombie. Las. Il ne peut revenir à temps pour le grand barnum planétaire.
La traversée du tunnel en Angleterre
La suite n’est guère reluisante, amorçant une chute brutale. En août 2014, le prêt (avec une option d’achat de 55 millions d’euros) du « Tigre » à Manchester United estomaque les supporteurs monégasques. En concertation avec Jorge Mendes, les dirigeants de l’ASM prennent alors le virage de la rigueur, désireux d’éponger un déficit de 100 millions d’euros enregistré au terme de l’exercice précédent. Pour expliquer ce revirement, Rybolovlev et son homme-lige, Vadim Vasilyev, agitent l’argument du « fair-play financier », en vertu duquel l’Union des associations européennes de football peut sanctionner les formations engagées dans les compétitions continentales si elles dépensent plus qu’elles ne gagnent.
En dépit de statistiques faméliques (quatre buts) à Manchester, Falcao est ensuite prêté au club londonien de Chelsea, entraîné alors par… le Portugais José Mourinho, client de Jorge Mendes. La prolongation de ce séjour anglais s’apparente à une traversée du tunnel pour le joueur, d’autant plus critiqué en vertu de ses émoluments somptuaires (300 000 livres sterling par semaine, soit 358 000 euros). Auteur de prestations indigentes, il ne marque qu’à une seule reprise avec les « Blues » qui, fort logiquement, ne lèvent pas l’option d’achat. Les cheveux fraîchement coupés, le Colombien est contraint de retourner sur le Rocher, à l’été 2016. Personne n’imagine que son sens du but est intact. Soucieux de relancer l’attaquant, moins véloce que par le passé, Jardim le charge notamment d’encadrer la kyrielle de jeunes talents – M’Bappe, Bernardo Silva (22 ans), Thomas Lemar (21 ans), Tiémoué Bakayoko – dont regorge l’ASM.
Cité dans le scandale « Football Leaks »
Dans le sillage d’un collectif devenu une machine à marquer (138 buts inscrits cette saison toutes compétitions confondues), Falcao brille à nouveau, renâclant à mettre en scène sa renaissance sportive au gré de très rares confidences auprès des journalistes français. Symbole d’un « projet Rybolovlev » enfin consolidé et récompensé, le Colombien illustre aussi la face sombre du foot business, entre tiercé propriété (interdite par la FIFA) et évasion fiscale. A l’automne 2016, son nom est cité dans le scandale « Football Leaks », qui cible son tentaculaire agent, Jorge Mendes. Selon Mediapart, l’attaquant fait l’objet d’un contrôle fiscal en Espagne pour avoir dissimulé une partie de ses revenus sur un compte suisse lorsqu’il évoluait à l’Atlético Madrid (2011-2013). La somme de 1,3 million d’euros aurait transité via des sociétés offshore aux îles Vierges britanniques et en Irlande.
Par ailleurs, l’enquête de Mediapart souligne que 33 % des parts de Falcao étaient détenus, en 2013, par le fonds d’investissement Doyen Sports, qui aurait fait transiter au moins 10,8 millions d’euros de commissions occultes dans des paradis fiscaux pour faciliter les transferts de ses joueurs. Le recrutement du Colombien par l’ASM aurait d’ailleurs permis à Doyen Sports d’empocher 5,3 millions d’euros net. Une somme manifestement jugée insuffisante par les dirigeants du fonds.
« Je suis toujours le même joueur »
En pleine polémique, Falcao renvoie les médias vers ses avocats. Ses dirigeants jouent les paratonnerres. « C’est notre joueur. Il a tout notre soutien. C’est une affaire privée. L’AS Monaco n’est pas concernée », rétorque alors le numéro deux du club, Vadim Vasilyev. Depuis cette mauvaise passe médiatique, le Colombien a constamment envoyé des signaux amènes à ses employeurs. « Ce club m’a toujours soutenu, a-t-il confié à la chaîne américaine CNN, mi-avril. Les dirigeants connaissent mes qualités, non seulement sportives mais aussi humaines. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises, vous apprenez de toutes les expériences. Mon passage en Angleterre m’a fait grandir et m’a permis d’acquérir de l’expérience. Je suis toujours le même joueur. »
Alors que les offres d’achat pleuvent, notamment en provenance de la Chine, le buteur assume son ambition de disputer le Mondial russe de 2018, avec sa sélection. A plus court terme, Falcao le résilient espère hisser l’ASM en finale de la Ligue des champions – comme en 2004 – et ainsi remporter un troisième trophée européen (après deux sacres en Ligue Europa en 2011 et 2012, avec Porto et l’Atlético Madrid). Histoire surtout de prolonger sa stupéfiante résurrection.