En Pologne, Donald Tusk veut tirer parti de l’acharnement du pouvoir contre lui
En Pologne, Donald Tusk veut tirer parti de l’acharnement du pouvoir contre lui
Par Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)
Le président du Conseil européen fait planer le doute sur son retour sur la scène politique nationale.
L’ancien premier ministre polonais, Donald Tusk, a été accueilli par une grosse centaine de soutiens, à Varsovie le 19 avril. | AGENCJA GAZETA / REUTERS
L’opération avait été savamment préparée par les libéraux polonais ces derniers jours, grâce à une mobilisation importante de leurs partisans sur les réseaux sociaux. Un peu plus d’un mois après sa reconduction au poste de président du Conseil européen, qui fut un sévère revers diplomatique pour le gouvernement ultraconservateur de Beata Szydlo, Donald Tusk a profité de ce succès pour surfer sur la vague de soutien dont il jouit toujours en Pologne.
Convoqué au parquet de Varsovie, où il était appelé à comparaître comme témoin dans une affaire qu’il juge « éminemment politique », c’est en train, puis à pied, que l’ancien premier ministre a décidé de se rendre à cette audience, et s’est assuré ce faisant un bain de foule. Une grosse centaine de ses partisans l’attendaient en effet, mercredi 19 avril au matin, à la gare centrale de Varsovie. Munis de bouquets de fleurs, de drapeaux européens et de pancartes à son effigie, ils l’ont accueilli aux cris de « Donald, nous sommes avec toi ! » et « Donald, reviens ! »
Enquête liée à la catastrophe de Smolensk
Ses détracteurs, proches du pouvoir conservateur, étaient aussi au rendez-vous, brandissant des affiches représentant le président du Conseil européen derrière des barreaux, et l’accusant d’être coresponsable de la catastrophe de Smolensk, un accident d’avion dans lequel avaient péri en 2010, en Russie, le président Lech Kaczynski et 95 autres personnes. Une accusation portée à de nombreuses reprises par le frère jumeau du défunt président, Jaroslaw Kaczynski, chef de la majorité ultraconservatrice et véritable homme fort du pays.
Des détracteurs de Donald Tusk étaient également présents à la gare de Varsovie, le 19 avril. | KACPER PEMPEL / REUTERS
L’enquête du parquet concerne un accord de coopération entre les services de contre-espionnage polonais et le Service fédéral de sécurité russe passé après la catastrophe de Smolensk. L’accord n’est jamais entré en vigueur, mais le ministère public met en avant des irrégularités dans la procédure. Après plus de huit heures d’audition, l’ex-premier ministre est ressorti de la magistrature sous les acclamations de ses partisans. « Je n’ai aucun doute que [cette affaire] relève d’une persécution politique. D’ailleurs, ses auteurs ne s’en cachent même pas », avait-il affirmé plus tôt.
Cette convocation devant la justice pourrait être la première d’une longue série pour le président du Conseil européen, alors qu’une réforme très controversée des tribunaux est actuellement débattue au Parlement. Selon les syndicats de juges, le texte concrétise la « politisation » du système judiciaire, après la subordination du parquet au ministère de la justice. La Commission européenne a ouvert une procédure sur la situation de l’Etat de droit à Varsovie.
Soigner son image
Plusieurs responsables du parti au pouvoir Droit et justice (PiS) évoquent au moins quatre affaires dans lesquelles le nom de l’ancien premier ministre pourrait être cité. Le parquet a notamment rouvert le dossier de l’enquête sur la catastrophe de Smolensk, pour laquelle des hauts responsables du gouvernement de M. Tusk sont accusés de « trahisons diplomatiques ». La contre-commission d’enquête mise en place par le ministre de la défense, Antoni Macierewicz, a officialisé, le 10 avril, la thèse de l’attentat, évoquant une « bombe thermobarique » qui aurait désintégré l’avion en vol. Une théorie jugée « profondément absurde » par les experts ayant participé à la commission d’enquête à l’époque des faits.
Ces soupçons de négligence ou de complicité restent un moyen de pression du pouvoir sur Donald Tusk, qu’il essaie de retourner contre le PiS. Le président du Conseil européen laisse planer le doute en ce qui concerne son possible retour sur la scène politique nationale, pour affronter les conservateurs à l’élection présidentielle de 2019. D’où cette première offensive visant à soigner son image, et à se présenter comme victime d’une cabale politique. Sa reconduction aux responsabilités à Bruxelles contre l’avis du seul gouvernement polonais a redonné du souffle à l’opposition polonaise, faisant bouger de manière significative les lignes politiques.
Le PiS est passé pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en dessous de la barre symbolique des 30 % d’intentions de vote dans des sondages récents (à 29 %), alors que sa cote de popularité était jusque-là stable, proche de son score électoral (37 %). La Plate-forme civique, le parti créé par Donald Tusk, a bondi pour sa part à 27 % de soutiens, alors qu’elle enregistrait des scores d’environ 15 % fin 2016.