Les retraités, plus politisés mais aussi désarçonnés que les autres
Les retraités, plus politisés mais aussi désarçonnés que les autres
Par Nicolas Lepeltier
Représentant plus d’un tiers de l’électorat, ils votent davantage que le reste de la population mais n’échappent pas à l’indécision générale.
Jeanine L., 75 ans, habitante d’Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine. | Antonin Sabot
Eux aussi se disent déstabilisés par la campagne présidentielle, qu’ils trouvent « déroutante », « déplorable », voire « inquiétante ». Représentant plus d’un tiers de l’électorat, les retraités comptent pourtant parmi les votants les plus fidèles : 87 % d’entre eux s’étaient rendus aux urnes à la présidentielle de 2012, selon l’institut Ipsos, soit 7 points de plus que la moyenne nationale.
Mais cette année, le doute s’est instillé. « Je ne sais même pas si je vais aller voter. Fillon, un moment j’y croyais, mais là, la confiance est partie », se désole Francine F., qui assure avoir « toujours voté à droite ». « Dans mon entourage, tout le monde se pose la question : est-ce que je vais aller voter ? », ajoute cette Meusienne de 62 ans, ancienne employée de banque.
« Si on a un duel Mélenchon-Le Pen, je resterai peut-être au lit », assure de son côté Jeanine L., 75 ans. A la retraite depuis 2003, cette habitante d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le jure : elle n’a « jamais manqué une élection ». Mais aujourd’hui, Jeanine, qui avait voté pour Alain Juppé à la primaire de la droite, se dit, elle aussi, un peu perdue. « Avec les affaires, les certitudes que je pouvais avoir se sont effondrées », lâche-t-elle, amère. Alors pour le premier tour, elle hésite encore entre les bulletins Fillon et Macron.
Dominique L., 70 ans, est confrontée au même dilemme. « Sous Sarkozy, M. Fillon avait eu des nerfs en acier, ça lui donnait un petit côté sympathique, se souvient-elle. Mais là, on en apprend de belles, quand même… Quant à Macron, il ne fait pas rêver non plus celui-là, mais c’est peut-être un moindre mal. » Pour cette ex-ingénieure en informatique chez Thales, une chose est sûre : hors de question de voter Marine Le Pen. « Elle me fait peur, elle veut quitter l’Europe, mais moi, je me sens européenne. »
Embarras
Même inquiétude chez Bernard C., ancien photographe indépendant. « Je dois reconnaître qu’un second tour Le Pen-Mélenchon me file une trouille bleue. Les deux sont autant populistes l’un que l’autre », estime, entre deux cartons de vêtements à trier, ce Parisien de 70 ans, bénévole chez Emmaüs. Pour lui, ce sera Macron. « Cette jeunesse, cette intelligence me plaisent. Ça fait longtemps que je n’avais pas voté “pour” quelqu’un », fait valoir Bernard, qui regrette néanmoins que la campagne n’ait pas été plus axée sur les programmes.
Bernard C., bénévole à Emmaüs à Ivry-sur-Seine. | Antonin Sabot / Le Monde
Les retraités rencontrés disposent, de leur propre aveu, de pensions « confortables ». Mais tous dénoncent une lente érosion de leur pouvoir d’achat et reprochent aux candidats leur silence sur les retraites. Ils font également un même constat : la valeur travail est aujourd’hui mise à mal. « Il y a beaucoup à faire en matière de formation, il faut redonner aux jeunes la culture du travail », soutient Jeanine. « Leur apprendre le goût de l’effort, ça, ça me paraît indispensable », complète Bernard. Alors, les baisses du temps de travail et le revenu universel, très peu pour eux.
Margaret A., 77 ans, le reconnaît : c’est la première fois qu’une élection la plonge dans un tel embarras. « Pour que j’envisage de voter Mélenchon, il faut vraiment que je sois déçue, note-t-elle, un brin amusée. Mais au moins lui n’a rien à se reprocher. » Cette ex-directrice d’un atelier de mécanographie garde à Paris ses petits-enfants pendant les vacances scolaires. « Mon mari ne me reconnaît pas, il me dit : “Toi, une femme qui a toujours voté à droite...” », souffle-t-elle. Margaret le dit tout net, elle fera barrage à Marine Le Pen si la candidate frontiste est au second tour : « Je trouve invraisemblable que les ouvriers puissent voter pour elle. »
Assis sur « leur » banc du parc Montsouris, à Paris, Jean-Claude T., 82 ans, et Raymond D., 78 ans, portent un regard sans concession sur la campagne. « Les politiques sont complètement déconnectés de la réalité. Ah, les journaux étrangers se moquent bien de nous », ironise le premier. Anciens techniciens, l’un dans l’informatique, l’autre dans la précision mécanique, les deux hommes touchent environ 2 000 euros par mois de pension : « C’est pas une grosse retraite, mais parmi les jeunes, il n’y en a pas beaucoup qui gagnent ça. » Les deux amis ne savent pas encore pour qui voter, mais ils voteront utile, à gauche, car « en principe quand on est ouvrier, on vote à gauche ». Pour eux, voter, c’est plus qu’un droit, un devoir. « Mais on ne se fait pas trop d’illusions sur les candidats, ils ne trouveront pas de travail pour nos enfants. »