La tentation d’un « mur virtuel » de drones à la frontière mexicaine
La tentation d’un « mur virtuel » de drones à la frontière mexicaine
Par Jean-Michel Normand
Les propositions affluent pour renforcer - ou remplacer - le mur de béton voulu par Donald Trump à la frontière américano-mexicaine avec un système de surveillance réalisé par des drones.
Le drone Predator utilisé par l’armée mais aussi par les services des douanes comme la police des frontières. | Greg Goebel (CC BY-SA 2.0)
La manne du mur
Plutôt que de construire, pour un budget évalué à 22 milliards de dollars, un mur anticlandestins à la frontière américano-mexicaine, pourquoi ne pas compter sur un mur virtuel, plus souple et surtout beaucoup moins cher en mettant à contribution des drones ? L’idée excite de nombreuses sociétés américaines high-tech et semble faire son chemin au sein de l’administration Trump. Début avril, devant le Congrès, le secrétaire à la sécurité intérieure, John Kelly a estimé que le projet d’édifier un mur ne pourrait se concrétiser sur l’intégralité des 3 200 km de frontière. Il avait évoqué le recours, en parallèle, à des solutions plus high-tech en recourant à des capteurs mais aussi à des drones. Une éventualité qui fait l’objet de nombreuses propositions dans le cadre de l’appel d’offres qui a été lancé.
Turnkey Solutions for Power and Utility Owners
Durée : 01:54
Le Predator au pied du mur
La société vScenario de San Diego, spécialisée dans la surveillance des réseaux de distribution d’électricité et en lice pour assurer la coordination des différents intervenants autour du projet de mur avec le Mexique, propose de développer « une cartographie 3-D hyper-précise de la zone-frontière » à partir des relevés réalisés par des drones. A intervalles rapprochés, des relevés seraient effectués pour débusquer les zones de passage. De leur côté, les services (publics) de surveillance des frontières proposent de mettre à disposition leurs Predator - les mêmes que ceux utilisés par l’US Army, l’armement embarqué en moins - à la disposition des autorités. Selon certains experts militaires, édifier un « mur virtuel » partiel serait une solution beaucoup plus souple à mettre en place. Les drones qui seraient utilisés sont des appareils à voilure fixe, capables de rester très longtemps en vol et de s’adapter aux contraintes de la surveillance en concentrant leurs observations sur certaines parties du territoire en embarquant notamment des caméras haute résolution. Autre avantage: le coût. Alors que le montant global de construction d’un tel est évalué à plus de 20 milliards de dollars, l’investissement consacré à une flotte de drones bien que fort élevé (compter 20 millions de dollars pour un appareil et 12 000 dollars l’heure de vol) serait cent fois moins coûteux.
Photoghaphie prise par un drone de surveillance à la frontière américano-mexicaine, non loin de Tijuana, le 26 janvier 2017. | MARIO VAZQUEZ / AFP
La reconnaissance faciale à la rescousse ?
La société Richmond’s Simularity a proposé - apparememnt en vain - de constituer un mur high tech intégral, en se fondant exclusivement sur les relevés de « tours de caméras » et des capteurs disséminés le long de la frontière susceptibles d’utiliser des logiciels de reconnaissance faciale. Sans oublier des relevés opérés par des drones, à voilure fixe volant en altitude, et multicoptères pour les observations plus précises. D’autres sociétés proposent de faire circuler des brigades mobiles dont les véhicules seraient équipés d’une plate-forme. Un seul agent des frontières à bord d’un pick-up pourrait déployer un drone d’observation en moins de cinq minutes.
Un drone « Predator » tel qu’il est utilisé par les services de surveillance des frontières. | JOEL SAGET / AFP
Big Brother
Ces plans destinés à faire de la frontière américano-mexicaine le territoire de Big Brother ne sont pas élaborés à partir d’une page blanche. Depuis 2005, les services de surveillance ont mis en service des drones Predator pour prévenir les infiltrations d’immigrés clandestins en provenance du Mexique. Or, le bilan est pour le moins calamiteux et révèle un fiasco des opérations de surveillance par drone. Un rapport publié début 2015 par l’Inspection générale du département de la Sécurité Intérieure mettait en évidence que le pourcentage d’interpellations pouvant être directement imputé à l’utilisation de drones de surveillance se situait entre 0,7 et 1,8 %. « Des moyens importants ont été consacrés à un programme qui n’a pas atteint les résultats attendus et dont il est impossible d’établir dans quelle mesure il a amélioré la sécurité des frontières » estimait le document. Ainsi, lors de l’année fiscale 2013, l’ensemble du budget-drones de surveillance des frontières a représenté 62,5 millions de dollars pour surveiller à peine 300 kilomètres de frontière.
Photo aérienne prise par un drone de surveillance à la frontière américano-mexicaine, près de Playas de Tijuana, le 26 janvier 2017. | MARIO VAZQUEZ / AFP
Une expérience cuisante
Bref, jusqu’à présent la surveillance des frontières par drones n’a rien d’une panacée. Ce serait même franchement le contraire: une expérience cuisante. Sans compter que la multiplication des survols fait émerger, dans ce pays très à cheval sur le respect de la vie privée que sont les Etats-Unis, la crainte d’une surveillance généralisée. En 2013, l’EPIC (Electronic privacy information center), un groupe de pression, avait réclamé sans succès la suspension des opérations de surveillance de la frontière par des drones.