La Turquie frappe des cibles kurdes en Syrie et en Irak
La Turquie frappe des cibles kurdes en Syrie et en Irak
Par Allan Kaval (Erbil, correspondance)
Ankara, dont l’influence s’étiole sur le terrain, refuse d’être écarté de la bataille de Mossoul et de l’offensive en cours contre l’organisation Etat islamique à Rakka.
Des raids aériens turcs ont frappé le mont Karachok (Syrie), le 25 avril. | RODI SAID / REUTERS
Ankara a lancé, dans la nuit de lundi 24 à mardi 25 avril, une série de raids aériens visant, pour la première fois, des cibles kurdes situées en Syrie et en Irak. Cette offensive rappelle la volonté récurrente de la Turquie d’écarter de la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) les forces kurdes affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation armée en guerre contre l’Etat turc depuis 1984.
La mort de plus de dix-huit combattants kurdes et d’importantes destructions matérielles ont été signalées sur le mont Karachok, à la pointe nord-est de la Syrie. Les forces kurdes visées, affiliées au PKK, constituent les partenaires principaux de la Coalition internationale contre l’EI dirigée par Washington. En Irak, c’est la région majoritairement yézidie du mont Sinjar qui a été visée. Le PKK y est présent depuis août 2014, à proximité des territoires contrôlés par sa branche syrienne.
Intervenues après plusieurs jours de bombardements des bases du PKK situées dans les zones montagneuses de la frontière irako-turque, ces frappes sont inédites par la nature et la localisation des cibles. Dans un communiqué, l’état-major turc les présente comme une mesure de riposte aux actions menées par le PKK en Turquie, comme l’attentat meurtrier, le 11 avril, contre un bâtiment des forces antiterroristes turques à Diyarbakir, la grande ville kurde du sud-est du pays.
La Turquie a rappelé par ces frappes que le conflit qui l’oppose au PKK dépasse son seul territoire. Pourtant, cette attaque n’a pas pour seul enjeu la sécurité intérieure. Elle intervient après une série de revers diplomatiques et stratégiques en Syrie comme en Irak, qui ont cantonné la Turquie à jouer les seconds rôles, voire à une position de spectatrice passive des évolutions régionales.
« Inquiétudes » des Etats-Unis
En Irak, la Turquie a été exclue de l’offensive de Mossoul lancée à l’automne 2016, et son influence s’étiole sur le terrain. Malgré les mises en garde du président Erdogan, les milices chiites encerclent Tal Afar, un bastion djihadiste turkmène où la Turquie disposait de relais sunnites. Les alliés kurdes irakiens d’Ankara, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, n’ont pas été en mesure de chasser le PKK de la région de Sinjar.
Les frappes turques y auraient causé des dégâts importants, surtout matériels, sur les positions du PKK, tandis que cinq membres du PDK ont été tués par erreur. Le PDK a cependant condamné son allié turc a minima, faisant porter la responsabilité de ces pertes humaines à ses rivaux kurdes du PKK.
En Syrie, le pire scénario s’est confirmé pour Ankara en début d’année. L’administration Trump y a réaffirmé le rôle de partenaire exclusif des forces liées au PKK dans l’offensive contre Rakka, au détriment de la Turquie et de ses alliés syriens, affaiblis par le piétinement de leur opération militaire conjointe pour reprendre Djarabulus.
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Durée : 01:25
Les frappes de mardi ont été menées au lendemain de l’annonce, par les forces kurdes et leurs affiliés arabes, de leur entrée dans la ville de Tabqa, une étape stratégique majeure sur la route de Rakka. Pour l’heure, le département d’Etat américain a fait part de ses « inquiétudes » concernant l’action turque, menée « sans la coordination appropriée ».
Dans un contexte général qui lui est défavorable, Ankara n’a d’autre choix que de faire pression sur les Etats-Unis. Si la stratégie de Washington ne s’infléchit pas pour prendre en compte les intérêts turcs, Ankara aura au moins prouvé par ces frappes qu’il peut user de ses puissantes capacités de nuisance dans la région.