On a testé… « What Remains of Edith Finch », un jeu sur les histoires qu’on se raconte
On a testé… « What Remains of Edith Finch », un jeu sur les histoires qu’on se raconte
Par Corentin Lamy
Le deuxième jeu du studio californien Giant Sparrow est un coup de maître, une expérience narrative courte, poignante et d’une incroyable inventivité.
Que reste-t-il d’Edith Finch ? Des histoires, des souvenirs et beaucoup de non-dits. | Annapurna Interactive
Sorti sur PC et PlayStation 4, le 25 avril, What Remains of Edith Finch est un jeu qui raconte des histoires. De belles histoires, mais aussi de gros bobards. Le premier, c’est justement celui qui se cache dans son titre. La « Edith Finch » dont le joueur va chercher la trace, ce n’est pas Edith Junior, son héroïne de 17 ans, mais son arrière-grand-mère Edie, arrivée en Amérique depuis sa Norvège natale près d’un siècle plus tôt.
Une nouvelle vie américaine marquée dès ses premiers instants par un drame, celui de la perte de la maison familiale et la mort d’Odin, le patriarche. L’existence entière d’Edie sera jalonnée de tragédies, le spectre de la mort planant sur la famille Finch, emportant un par un la plupart de ses membres. Une réalité si dure qu’on le devine, Edie a préféré l’ensevelir sous des récits fantasmés.
C’est cette histoire funeste qu’Edith Junior va retraverser en revenant pour la première fois dans la maison familiale, abandonnée telle quelle sept ans plus tôt. Il y a encore de la vaisselle sale dans l’évier et des centaines de photos au mur. Les bibliothèques croulent sous les livres et les étagères sous les souvenirs.
What Remains of Edith Finch est un jeu sur le récit, la narration, les histoires qu’on se raconte et les souvenirs qu’on se transmet, mais aussi sur les non-dits et leurs conséquences. Qu’est-ce qui a causé le malheur de quatre générations de Finch ? Une malédiction ? Un monstre ? Ou juste une famille qui, à force de se raconter des histoires, s’est laissée écraser par le poids de sa propre légende ? Pas sûr qu’il y ait une réponse à la fin, et de toute façon, dès la première minute, le joueur voyage à vue, coincé entre le fantastique et le réel.
L’aventure a à peine pas commencé qu’au loin la maison Finch, théâtre unique mais protéiforme de l’action, échappe en effet déjà à toute tentative d’analyse. Assemblage brinquebalant d’étages et de murs, la bâtisse qui s’élève déraisonnablement vers le ciel est pareille à l’histoire de ses occupants, somme de destins tristement banals, dont l’accumulation a fait de cette famille une funeste célébrité locale.
What Remains of Edith Finch - House Introduction Trailer | PS4
Durée : 01:32
Des chemins de traverse
What Remains of Edith Finch est une balade. Une promenade dans cette maison verticale, qu’Edith va gravir en même temps qu’elle descendra son arbre généalogique. Il faut dire que les Finch ont une curieuse tradition : chez eux, une chambre est comme un musée, liée à jamais à son propriétaire. Alors à chaque nouvelle naissance, on construit, on agrandit, on ajoute des étages, des pièces de plus en plus improbables.
Pour autant, Edith ne se contente pas de pousser des portes. Celles-ci ont d’ailleurs toutes été condamnées des années plus tôt par la mère d’Edith, comme si elle avait voulu contenir la malédiction qui imprégnait manifestement les murs de la maison.
Alors Edith prend des chemins de traverse, passe par les toits, découvre des passages secrets. Elle explore l’envers du décor tandis qu’elle découvre l’envers de l’histoire familiale. La maison se révèle ainsi progressivement, avec une densité et une réalité rarement vue dans un jeu vidéo : chaque pièce est remplie de détails, de bibelots, de jouets ou d’éléments de décoration qui en disent long sur leurs occupants passés.
Mais davantage qu’avec ces mille détails, c’est à travers des journaux, des courriers ou même des bandes dessinées qu’Edith va apprendre. Chacun déclenche ainsi un flashback, prétexte à autant de trouvailles formelles insensées.
Le récit d’Edith Finch est celui du point de contact entre la réalité et la fiction. | Annapurna Interactive
Faire comprendre sans rien dire
Parfois cocasses, régulièrement émouvantes, ces séquences oniriques chamboulent les habitudes du joueur en le glissant dans la peau, et surtout dans le cerveau, de personnes qu’il incarne jusqu’au bout des ongles.
C’est dans ces moments-là que What Remains of Edith Finch arrive le mieux à faire comprendre sans rien dire, ni même à la rigueur sans rien montrer, juste en nous permettant de baisser les yeux, de regarder les mains et les corps de nos avatars et ce qu’ils nous disent d’eux.
Ça n’empêche pas le jeu du studio californien Giant Sparrow de mettre en scène des choses incroyables, nous plongeant ici dans un comic strip décrivant la mort d’une grand-tante, là dans une parodie de jeu de rôle se déroulant dans l’imagination du frère. Sans trop en dire, What Remains of Edith Finch s’attaque même, dans une séquence de bain bouleversante à l’un des tabou du jeu vidéo.
Avec ces flashbacks et leur formidable pouvoir d’évocation, Giant Sparrow réussi un quasi-tour de magie : réussir à rendre terriblement attachante une famille pourtant seulement entraperçue. Mieux, malgré le sort qui s’acharne de façon presque grotesque, le studio réussi à contourner l’écueil du pathos sur lequel le jeu aurait très facilement pu se fracasser. What Remains of Edith Finch, qui évoque souvent la mélancolie amusée du Big Fish de Tim Burton, est un jeu qui se joue certes les yeux humides, mais aussi avec le sourire.
En outre, Giant Sparrow a le talent de ne pas simplement faire de nous le spectateur un peu voyeur du destin brisé de ces personnages : en nous accueillant au sein de cette famille qui semble se raconter des histoires pour mieux affronter le réel, le studio pose aussi, tout doucement, sans forcer, la question du rapport de tout lecteur, tout spectateur, et, évidemment, de tout joueur, aux histoires qu’il se laisse conter.
L’avis de Pixels
On a aimé :
Un « simulateur de marche » qui arrive à surprendre
Les flashbacks et leurs mille trouvailles
La délicatesse de la mise en scène, de la narration et de la bande-son
On n’a pas aimé :
Le pathos qui guette parfois (mais est évité de justesse)
C’est plutôt pour vous si…
Vous aimez les expériences contemplatives
Vous avez aimé Big Fish et le cinéma de Wes Anderson
Ce n’est plutôt pas pour vous si…
Vous avez la larme trop facile
Le piano vous fatigue
Les histoires de famille vous endorment
La note de Pixels
4 étages sur 5