Historique, personnelle, politique : trois fresques à dévorer
Historique, personnelle, politique : trois fresques à dévorer
Chaque jeudi dans La Matinale, « Le Monde des Livres » propose ses coups de cœur en librairie.
LA LISTE DE NOS ENVIES
Cette semaine, un essai élaboré par Nicolas Mariot à partir d’une correspondance entre un soldat de la Grande Guerre et son épouse, les pérégrinations de la romancière Elena Lappin à travers l’Europe et le roman de Baptiste Rossi sur la vie politique varoise des années 1980.
ESSAI. « Histoire d’un sacrifice. Robert, Alice et la guerre », de Nicolas Mariot
Certains livres d’histoire se laissent dévorer comme des romans. C’est le cas de celui-ci. Il raconte un destin, une mort héroïque pendant la guerre, la « Grande », dont on célèbre aujourd’hui le centenaire.
Le récit est élaboré à partir d’une correspondance, celle entretenue par le sous-lieutenant Robert Hertz et sa femme, Alice, couple aimant et cultivé dont les lettres – celles venues du front, du 330e régiment d’infanterie de Mayenne, et celles qui sont postées à côté d’une adresse bourgeoise à Paris – se croisent entre août 1914 et avril 1915. Fréquentes, elles semblent épouser, avec leur style souple, limpide, le mouvement de la conversation, nous faisant pénétrer au cœur de la relation affective et intellectuelle que noue le couple, confronté à la rudesse de la séparation.
Mais là n’est pas l’essentiel. La force du livre de Nicolas Mariot tient à sa façon de restituer le consentement au sacrifice chez cet intellectuel, élève du sociologue Emile Durkheim et brillant normalien. Car Robert Hertz meurt pour la patrie. Et il le dit. Il ne cesse de le dire, mais aussi parfois de s’en dédire. C’est bien cette complexité poignante qui attrape le lecteur et ne le laisse plus en repos : le sentiment de pénétrer une âme, de saisir dans ses moindres finesses le temps intime où se « fabrique », dit Mariot, l’élan total et absolu, le choix de la mort. Partout affleure le tragique. Julie Clarini
SEUIL
« Histoire d’un sacrifice. Robert, Alice et la guerre », de Nicolas Mariot, Seuil, « L’univers historique », 442 pages, 25 €.
RÉCIT. « Dans quelle langue est-ce que je rêve ? », d’Elena Lappin
La romancière et journaliste Elena Lappin se livre, avec Dans quelle langue est-ce que je rêve ?, au récit d’une vie, bouleversée, en 2002, par un coup de téléphone et une révélation inattendus : la sienne.
Une vie faite de déplacements successifs des deux côtés de l’ancien « rideau de fer » et oscillant entre diverses langues (le russe, le tchèque, l’allemand, l’hébreu, l’anglais). Elle montre comment une identité peut se structurer autour d’une errance, et non sur un sol et un ancrage dans une seule langue ou une culture homogène.
En renouvelant le genre de l’autofiction, elle entraîne le lecteur dans ses pérégrinations, depuis la Russie soviétique où elle est née en 1954, Prague et son printemps, Hambourg, Tel-Aviv, Ottawa jusqu’au Royaume-Uni… avec en arrière-plan l’Europe d’hier (d’avant la chute du Mur) et contemporaine, vue à travers le prisme de l’exil. Nicolas Weill
L'OLIVIER
« Dans quelle langue est-ce que je rêve ? » (What Language Do I Dream In ?), d’Elena Lappin, traduit de l’anglais par Matthieu Dumont, L’Olivier, 382 pages, 23 €.
ROMAN. « Le Roi du Sud », de Baptiste Rossi
C’est une fresque sur la vie politique varoise des années 1980 autant qu’un récit chargé d’affects. En son centre, il y a Orksi, maire de Portovan, sur la Côte d’Azur. A travers les yeux de son fils, Daniel, les intrigues locales s’intègrent à des problématiques existentielles intemporelles, le Sud et son histoire deviennent un précipité de l’âme humaine.
D’un romanesque en apparence très traditionnel, Le Roi du Sud est un livre littérairement bien plus ambitieux que ne le laisse attendre sa trame linéaire et assez balzacienne. Sans jamais renoncer au plaisir de lecture que procurent intrigue mouvementée et personnages consistants, Baptiste Rossi joue de toute la palette stylistique que lui offrent l’art de la narration et celui du dialogue.
Aucun sentiment d’académisme à la lecture de ce roman vif et fluide, qui varie subtilement, tout au long du récit, la distance qu’il entretient avec ses personnages. Florence Bouchy
GRASSET
« Le Roi du Sud », de Baptiste Rossi, Grasset, 464 pages, 22 €.