Guerre en Syrie : que contient l’accord d’Astana ?
Guerre en Syrie : que contient l’accord d’Astana ?
Par Madjid Zerrouky
Signé jeudi 4 mai par la Russie, l’Iran et la Turquie, le texte n’a été validé ni par le régime syrien ni par l’opposition.
A Astana, le 5 mai. | STANISLAV FILIPPOV / AFP
Le quatrième round de pourparlers à Astana s’est conclu, jeudi 4 mai, par un accord entre la Russie et l’Iran, alliés de Bachar Al-Assad d’un côté, et la Turquie, soutien des rebelles syriens de l’autre, pour la création de quatre « zones de désescalade en Syrie » en vue de parvenir, annoncent les chefs des délégations des trois pays parrainant les pourparlers, à une trêve durable.
Les pays garants doivent désormais définir avant le 4 juin les contours de ces zones, qui seront instaurées avec une validité initiale de six mois, avec possibilité de prolongation.
Qui sont les signataires du texte ?
Ni les émissaires du régime syrien ni ceux des rebelles n’étaient invités à signer ce texte. L’accord d’Astana avalise ainsi le fait que le futur immédiat de la Syrie dépend désormais de la capacité à s’entendre des seuls parrains étrangers des belligérants syriens sur le terrain.
Le terme, flou, de « zones de désescalade », désignées également comme des « zones de sécurité », s’approche de l’idée de zones tampon séparées du reste du territoire par des postes de surveillance contrôlés par les pays « garants ». Des « forces tierces » pourraient être déployées après « consensus » entre la Russie, la Turquie et l’Iran. Sans que l’on sache pour l’instant si le terme désigne d’autres pays ou, plus vraisemblablement, les forces du régime syrien dans le cadre de patrouilles mixtes.
Où seraient installées les « zones de désescalade » ?
Seraient concernées la province d’Idlib (nord-ouest) et des zones des provinces limitrophes de Lattaquié, Hama et Alep, des zones dans le nord de la province de Homs (centre du pays), la Ghouta orientale à l’est de Damas et un territoire englobant une partie des provinces de Deraa et de Kuneitra dans le sud du pays. Soit les réduits contrôlés par la rébellion.
Dans ces territoires, « les hostilités entre les parties en conflit [le gouvernement syrien et les groupes armés de l’opposition qui ont signé ou vont signer le cessez-le-feu] doivent cesser, tout comme l’emploi de tout type d’armes, y compris de moyens aériens », affirme le mémorandum, qui précise toutefois que les « pays garants doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour continuer de combattre “Daech” [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique], “Al Nosra” [aujourd’hui Front Fatah Al-Cham] et tous les individus, groupes ou entités associées à Al-Qaida ou Daech à l’intérieur comme à l’extérieur de ces régions ».
La lutte contre le Front Fatah Al-Cham, ancienne branche d’Al-Qaida en Syrie, se poursuivra. Et avec elle le risque de représailles que pourraient mener les djihadistes contre des groupes de l’opposition déjà affaiblis qui s’associeraient à ce processus.
L’Iran, pays « garant » : inacceptable pour l’opposition
Les représentants de l’opposition armée ont eux dénoncé, vendredi 5 mai, un « marché de dupes ». Si la création de zones de sécurité est une demande de longue date de l’opposition, celle-ci dénonce la présence de l’Iran en tant que « garant » de l’application de cet accord et exige toujours le retrait des forces de Téhéran et de ses alliés chiites du pays.
« Les Iraniens tentent de se présenter et d’agir en tant que garants. C’est quelque chose que nous ne pouvons accepter. Depuis le premier jour, ils tuent des civils sur le terrain », dénonçait jeudi Yasser Abdul Rahim, un membre de la délégation de l’opposition armée, qui a spectaculairement claqué la porte des négociations devant les caméras.
« Nous voulons des garanties sur l’intégrité territoriale de la Syrie », a ajouté Ossama Abou Ossama Abou Zaid, un des porte-parole de la délégation rebelle, qui critique aussi tout accord dont l’Iran serait le garant et a dénoncé « le gouffre entre les promesses et les actes de la Russie ».
Les rebelles syriens accusent l’aviation russe et Damas de ne pas respecter la trêve théoriquement entrée en vigueur après la chute d’Alep, en décembre 2016. Depuis, les bombardements, loin de cesser, se sont mêmes intensifiés, notamment dans la province d’Idlib, où le régime a fait usage d’armes chimiques le 4 avril, entraînant une frappe américaine contre une base aérienne du régime deux jours plus tard.
Les Etats-Unis, pays observateur dans les négociations d’Astana, ont d’ailleurs salué avec grande prudence cet accord : « Nous continuons à avoir des préoccupations au sujet de l’implication de l’Iran comme un soi-disant garant. Les activités de l’Iran en Syrie n’ont fait que contribuer à la violence, et le soutien inconditionnel de l’Iran au régime a perpétué la souffrance des Syriens », a réagi le département d’Etat.
Comme en écho à cette posture circonspecte, Moscou a annoncé vendredi que les avions de la coalition internationale menée par les Etats-Unis pour combattre l’EI ne pourront pas opérer au sein des « zones de désescalade ». « Les opérations de l’aviation dans les zones de désescalade, en particulier celles des forces de la coalition internationale, ne sont absolument pas prévues. Qu’il y ait avertissement en avance ou non. Cette question est close », a déclaré Alexandre Lavrentiev, l’envoyé spécial du président russe, Vladimir Poutine, pour la Syrie.
Quid du processus politique ?
Lancés le 23 janvier sous le triple parrainage de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, les pourparlers d’Astana ont couronné un succès diplomatique obtenu par le Kremlin avec le soutien, par le Conseil de sécurité de l’ONU, le 31 décembre 2016, à l’accord russo-turc pour un cessez-le-feu et des négociations en Syrie. Les quinze membres avaient alors voté à l’unanimité la résolution 2336 présentée par Moscou et Ankara.
S’ils appuient ces tentatives d’établir un cessez-le-feu et les voient comme un complément des négociations politiques de Genève (sous l’égide de l’ONU), les Occidentaux, comme les capitales arabes sunnites aujourd’hui marginalisées, insistent sur leur côté « technique » et la nécessité d’en revenir à la résolution 2254. Votée en décembre 2015, à un moment où la Russie et les Etats-Unis s’étaient accordés sur un texte, cette résolution établissait une feuille de route détaillée de sortie de crise. Celle-ci prévoyait l’instauration d’un cessez-le-feu, l’ouverture de négociations pour une transition politique, l’élaboration d’une nouvelle Constitution et des élections générales.
« Nous continuons à soutenir fermement le processus dirigé par l’ONU à Genève, sous la direction de Staffan de Mistura, comme le cadre des efforts internationaux pour parvenir à un règlement négocié », a rappelé le 5 mai le département d’Etat américain.
« La France appelle à une reprise des négociations politiques à Genève entre le régime et l’opposition sous l’égide des Nations unies. Seule une authentique transition politique, conforme à la résolution 2254, permettra de mettre un terme à la crise syrienne et de vaincre le terrorisme », a indiqué de son côté Paris, en référence aux négociations de Genève sur la Syrie, aujourd’hui à l’agonie.
Le dernier cycle de ces négociations, qui devait « se concentrer sur la transition politique, sur la gouvernance et sur les principes constitutionnels », a été reporté sine die à la suite de la décision prise par les représentants de l’opposition syrienne d’y mettre un terme après des raids aériens gouvernementaux contre des marchés de la province d’Idlib, mi-avril.
« Nous respecterons l’accord [d’Astana], mais nous continuerons à combattre le terrorisme là où il existe », a annoncé pour sa part le gouvernement syrien, qui n’a jamais cessé de qualifier de « terroriste » l’ensemble des groupes de l’opposition ni fait mystère de sa volonté de « reconquérir » l’ensemble du pays.
La position de Damas est comme une piqûre de rappel : les précédentes tentatives de cessez-le-feu se sont jusqu’ici toutes soldées par un échec.