Lors du débat télévisé, le 3 mai, Marine Le Pen face à Emmanuel Macron. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Lors du débat de l’entre-deux-tours, mercredi 3 mai, la candidate du Front national, Marine Le Pen, a reproché à son adversaire, Emmanuel Macron, d’être lié à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), réputée proche des Frères musulmans, parce que celle-ci a appelé à voter pour lui au second tour.

Le 3 mai, Marine Le Pen a accusé à plusieurs reprises le leader d’En marche ! de « complaisance » avec le fondamentalisme islamiste, à travers l’UOIF, devant laquelle il serait « à plat ventre ». M. Macron avait répliqué : « Je ne connais pas les dirigeants de l’UOIF, je ne les ai jamais rencontrés, je n’ai pas de relations avec eux. »

« Nous avons du respect à l’égard de monsieur Emmanuel Macron, mais n’avons pas de liens particuliers avec son mouvement », assurait de son côté l’UOIF, quelques jours plus tôt, dénonçant un « mensonge éhonté » de la candidate frontiste. L’organisation qui appelait « à voter massivement pour Monsieur Macron et à faire barrage à la menace incarnée par les idées de madame Le Pen », a renouvelé son appel dans un communiqué publié après le débat du 3 mai.

  • Qu’est-ce que l’UOIF ?

L’UOIF est née en 1983, en Meurthe-et-Moselle, à l’initiative de deux étudiants étrangers, irakien et tunisien, qui se réfèrent alors au chef religieux libanais Fayçal Mawlawi, dans la mouvance des Frères musulmans, mouvement islamiste créé en Egypte en 1928. Après avoir pris la défense des deux jeunes filles exclues du collège de Creil (Oise) pour avoir porté un voile, en 1989 – une affaire qui les propulse sur le devant de la scène médiatique – l’UOIF investit le secteur social dans les années 1990 et passe de l’Union des organisations islamiques « en » France a l’Union des organisations islamiques « de » France. En 1992, elle fonde l’Institut européen de sciences humaines de Saint-Léger-de-Fougeret (Nièvre), destiné à former des imams et des cadres religieux.

En 2002, l’UOIF devient l’un des interlocuteurs privilégiés du nouveau ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy. Celui-ci l’impose au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003, et, en dépit d’une base réticente, l’UOIF s’engage dans le processus, espérant qu’il lui apporte la reconnaissance des pouvoirs publics. En 2005, elle publie même une fatwa (avis religieux) appelant les musulmans au calme lors des émeutes en banlieue. Depuis 2011, elle s’est retirée du fonctionnement du CFCM, même si elle cherche aujourd’hui à le réintégrer.

Constituée selon un schéma pyramidal, l’Union, filiale de l’Union des organisations islamiques d’Europe, rassemble plus de 250 associations françaises, un réseau qui couvre tous les domaines de la vie sociale, conformément à la vision globalisante de l’islam des Frères musulmans.

En février, elle a adopté un nouveau nom, Musulmans de France, dans le but de se défaire de la réputation d’être la tête de pont en France des Frères musulmans. Aujourd’hui présidée par Amar Lasfar, dont le mandat s’achève, l’organisation semble en perte de vitesse. Sa direction a fait peu de place aux jeunes nés en France. Depuis le milieu des années 2000, son dynamisme militant des années 1990 est concurrencé par le développement du salafisme.

Sur son site, l’organisation promeut une « lecture authentique et ouverte de l’islam », qui permet « de développer une pensée et des positions conformes à l’islam tout en intégrant le cadre républicain français ». Les positions de ses membres couvrent un large spectre, de l’imam de Bordeaux Tareq Oubrou, artisan d’un islam libéral, à des membres plus conservateurs. L’islamologue Tariq Ramadan participe généralement au grand rassemblement organisé chaque année par l’UOIF au Bourget (Seine-Saint-Denis), qui attire des dizaines de milliers de visiteurs, même s’il était absent cette année. A plusieurs reprises, des invités de l’UOIF ont déclenché des polémiques en raisons de propos ou d’écrits tenus auparavant et certains ont même été interdits d’entrée sur le territoire.

  • Quels précédents candidats l’UOIF avait-elle soutenu ?

C’est le point d’attaque de Marine Le Pen selon qui l’Union soutient son adversaire, Emmanuel Macron. En 2002, l’organisation avait pourtant déjà soutenu Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen et cette position n’avait, a l’époque, pas fait polémique.

Si Nicolas Sarkozy avait été accueilli comme « un ami » par le président de l’UOIF lors de son congrès de 2003, son soutien à Charlie Hebdo, poursuivi en 2006 par l’UOIF pour avoir reproduit les caricatures de Mahomet d’un journal danois, a consommé la rupture. En 2007, l’UOIF a donc appelé à « faire barrage » à Nicolas Sarkozy et à Ségolène Royal, un geste interprété comme un soutien tacite à François Bayrou.

Cette année, lors de son salon annuel, l’association a lancé avant le premier tour un appel contre l’abstention sans donner de consigne de vote.

  • Qui est le M. Saou que cite Marine Le Pen ?

A l’appui de ses accusations prêtant à M. Macron une proximité avec l’UOIF, Marine Le Pen a brandi le nom de Mohamed Saou :

« Vous avez été mis devant le chantage… Soit vous gardiez M. Saou, un radical islamiste, soit l’UOIF appelait à vous faire battre. Vous avez préféré conserver ce soutien plutôt que de prendre le risque d’exprimer votre condamnation de ces dérives. »

M. Saou, dont le nom a fait l’objet d’une polémique très relayée sur Internet en mars-avril, est un enseignant d’histoire-géographie et ex-référent départemental d’En marche ! dans le Val-d’Oise. La polémique est née de propos qu’il avait tenu sur Facebook – avant qu’il ne s’engage dans En marche ! –, exhumés par le site Jforum.fr (le portail juif francophone).

Entre autres, M. Saou déclarait qu’il n’a « jamais été et ne sera jamais Charlie » (après la publication par Charlie Hebdo d’une caricature sur les victimes d’un séisme en Italie) et partageait des publications de Marwan Muhammad, président controversé du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Rien qui ne tombe sous le coup de la loi, se défendait Mohamed Saou auprès de Libération, à qui il disait assumer toutes ces publications. Interrogé par le Parisien, l’enseignant justifiait ainsi ses propos :

« Quand je dis que je ne suis pas “Charlie”, c’est que je ne suis pas dans leur ligne éditoriale. Mais à aucun moment je ne cautionne les attentats. Je condamne toute forme de violence. »

De fait, aucun élément factuel ne vient appuyer l’affirmation de Mme Le Pen selon laquelle Mohamed Saou serait un « islamiste radical ».

Face à la polémique naissante et tout en saluant le travail de terrain du militant, En marche ! avait annoncé sa mise en retrait jusqu’à la tenue d’une commission d’éthique. Mais une vidéo de M. Macron filmé à l’antenne de la radio Beur FM était venue relancer la machine à rumeur. Alors qu’il était hors micro, le candidat se disait conscient que M. Saou a pu tenir des propos douteux, tout en déclarant qu’il s’agissait par ailleurs « d’un type très bien ». Une aubaine pour ses adversaires, au premier rang desquels le Front national.

  • Qui est Camel Bechikh, évoqué par M. Macron ?

Autre personnalité évoquée cette fois par M. Macron lors du débat d’entre-deux-tours : Camel Bechikh. Revenant sur les accusations de Marine Le Pen, le candidat a contre-attaqué : « Le dernier parti qui a fait participer [les dirigeants de l’UOIF] à des colloques, c’est le FN, avec Louis Aliot. Balayez devant votre porte. »

L’ancien ministre de l’économie faisait référence à un colloque organisé en avril 2013 par le vice-président du FN, Louis Aliot, sur le thème « Islam et République ». Parmi les invités figurait Camel Bechikh, membre de l’UOIF, qui se définit comme musulman « patriote » et qui avait également assisté au congrès du FN en 2011, lorsque Marine Le Pen a pris la tête du parti. « Nous avons fait un colloque avec huit participants, (…) dont ce M. Camel Bechikh, dont très honnêtement je ne savais pas qu’il était à l’UOIF », s’est défendu Louis Aliot au lendemain du débat d’entre-deux-tours, sur Europe 1. Avant d’ajouter : « Ça n’empêche pas que lorsque Marine sera aux affaires, l’UOIF sera dissous, M. Bechikh ou pas. »

Ancien porte-parole de la Manif pour tous, très marqué à droite – voire rangé par certains à l’extrême droite, d’après un portrait que lui a consacré L’Obs –, Camel Bechikh a fondé, en 2012, l’association Fils de France, qui promeut « l’idée que les musulmans français rejoignent la grande famille des patriotes ». Un conflit l’oppose actuellement au cofondateur, Sofien Hézami, et aux cadres historiques, qui l’ont accusé dans un communiqué de « vouloir placer Fils de France sous l’influence de l’UOIF ».

Dans le portrait de L’Obs qui lui est consacré, l’intéressé, musulman pratiquant de 43 ans, réfute être le « “sous-marin” de Marine Le Pen dans la communauté musulmane ». Si ses vidéos sont régulièrement relayées par le site Egalité et Réconciliation, mouvement de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral, M. Bechikh affirme en revanche ne pas « avoir de relation » avec lui.