Stéphane Richard, PDG d’Orange. | ERIC PIERMONT / AFP

Faut-il demander beaucoup pour avoir peu ? C’est visiblement ce que pense SFR. L’opérateur, propriété de Patrick Drahi, réclame à Orange 2,4 milliards d’euros de dommages et intérêts en raison du comportement de son concurrent sur le marché des entreprises. Révélée par L’Express, l’information était discrètement glissée dans le rapport annuel de l’opérateur historique. Après avoir « estimé provisoirement son préjudice à 512 millions d’euros, SFR a porté en avril 2016 ses prétentions à 2,4 milliards d’euros », indique le document de référence de l’entreprise. Deux autres opérateurs ont emboîté le pas à SFR, assignant Orange devant le tribunal de commerce de Paris, Verizon et BT Group réclamant respectivement 215 millions et 150 millions d’euros. En tout, Orange fait face à une action qui pourrait lui coûter 2,75 milliards d’euros.

Pour justifier une telle demande, l’opérateur au carré rouge et blanc se fonde sur la décision rendue par l’Autorité de la concurrence le 17 décembre 2015. Les membres du collège de la rue de l’Echelle avaient à l’époque infligé une amende de 350 millions d’euros à Orange, un montant record pour une seule entreprise. Abus de position dominante, discrimination, fidélisation abusive, le rapport fustigeait un ensemble de pratiques ayant eu cours entre 2003 et 2015. Ainsi, si Orange restait ultra-dominant sur le marché fixe à destination des entreprises, devançant largement SFR, et si, dans le mobile, il détenait 55 % de parts de marché, contre 30 à 35 % pour SFR et 10 % pour Bouygues Telecom, c’est en partie grâce à un comportement de prédateur.

Parmi les reproches, Orange avait profité de son statut d’ancien monopole public, qui permettait à ses commerciaux d’avoir des informations privilégiées sur le réseau de cuivre, et donc sur l’éligibilité et la disponibilité des lignes téléphoniques. Aux yeux des clients, cela permettait aux commerciaux d’Orange d’être plus réactifs que les concurrents. Plus qu’une stratégie délibérément mise en place par la direction de l’entreprise, ces pratiques étaient plutôt dues à l’histoire de l’opérateur, et aux naturelles relations de proximité qu’entretenaient entre eux les salariés. Problème, l’ex-France Télécom n’avait pas mis en place de barrière étanche entre les services depuis qu’il avait basculé dans la concurrence.

Offres de fidélisation jugées abusives

Autre reproche : les offres de fidélisation jugées abusives. Ainsi, dans le mobile, l’opérateur avait par exemple mis en place des remises prévoyant une ristourne de 10 à 15 % sur les tarifs en échange d’un allongement de la durée de réengagement de douze à vingt-quatre ou trente-six mois.

Orange avait décidé de ne pas faire appel de la décision et s’était engagé à corriger ses pratiques. C’est donc fort de l’amende infligée par l’Autorité de la concurrence, que SFR, BT Group et Verizon ont ensuite décidé de réclamer une réparation de leur préjudice.

Orange ne commente pas l’action de SFR, mais peaufine son dossier. Parmi les arguments, il pourrait s’appuyer sur des déclarations faites par Patrick Drahi reprises par Silicon.fr en mars 2014. Le nouvel actionnaire, qui a bouclé le rachat de l’opérateur en novembre de la même année, précisait ses ambitions sur le marché des entreprises jugé « peu compétitif », en raison de la faiblesse de ses effectifs. Ainsi, en fusionnant SFR et Completel, le nombre de commerciaux devait atteindre 400 personnes. Pas assez, selon M. Drahi, qui jugeait qu’il fallait 600 personnes pour répondre aux appels d’offres. « Plutôt qu’embaucher, ils ont plutôt décidé de supprimer 5 000 postes », rappelle, perfide, une source proche d’Orange.