« Certains ont peur de perdre leur place dans le monde de demain »
« Certains ont peur de perdre leur place dans le monde de demain »
Par Nicolas Lepeltier (Loiret (envoyé spécial)
Des maires de petits villages du Loiret où Marine Le Pen est arrivée en tête le 7 mai, s’interrogent sur les ressorts du vote de leurs administrés.
Christophe Bethoul ne s’y habitue toujours pas. Saint-Germain-des-Prés, la commune dont il est le maire, a voté en majorité pour Marine Le Pen, dimanche 7 mai, au second tour de la présidentielle. « Pourtant, on n’a pas d’immigration, on ne connaît pas de problème de sécurité, le chômage ici est dans la moyenne nationale », s’étonne encore l’élu. Et pourtant. Dans ce village d’un peu moins de 2 000 habitants, près de Montargis (Loiret), la candidate du Front national a recueilli 51,4 % des suffrages. Et même 61,9 % dans le bourg voisin de Saint-Firmin-des-Bois, perdu au milieu des champs de colza.
Pour Christophe Bethoul, le vote FN s’explique par « le sentiment d’abandon » de ses administrés. « Et peut-être, aussi, par trop de télévision, ajoute-t-il, qui leur matraque la tête avec l’insécurité et l’immigration. » « Quand je dis aux électeurs frontistes qu’il n’y a pas d’immigré dans le village, ils me répondent : “Oui, mais on n’en veut pas.” Ils préfèrent avoir comme voisin un Français bien chiant plutôt qu’un étranger bien intégré, se désole le jeune édile socialiste. Ils ont une peur terrible de ce qu’ils ne connaissent pas. »
« Les repères vacillent »
Saint-Germain, Saint-Firmin, mais aussi Pressigny-les-Pins, Fontenay-sur-Loing, Courtenay ou encore Mérinville… Dans le Gâtinais, la liste est longue des communes où Marine Le Pen a fini en tête du scrutin dimanche. Des terres rurales, dans cette France périphérique, grande perdante de la mondialisation. Une France des routes départementales étroites et des villages sans commerce ni médecin, une France des volets clos et des rideaux baissés, où flottent ici et là quelques drapeaux tricolores aux fenêtres.
« Les maires sont sincèrement étonnés par le vote FN dans leur commune. Il y a beaucoup de non-dits, relève Jean-Pierre Sueur, sénateur (PS) du Loiret, venu assister, au côté de François Bonneau, président (PS) du conseil régional Centre-Val de Loire, aux cérémonies du 8-Mai à Saint-Germain-des-Prés. Il y a ici, comme dans l’Oise ou l’Yonne, un fort sentiment de mal-vivre. Certains nous appellent les franges franciliennes, je n’aime pas le terme. » François Bonneau complète : « Les repères vacillent. Certains pensent être à l’écart de la dynamique de modernité, ils ont peur de perdre leur place dans le monde de demain. »
Christophe Bethoul
maire (PS) de Saint-Germain-des-Prés
Bazoches-sur-le-Betz, village du Loiret aux confins de la Seine-et-Marne et de l’Yonne. Ses 980 habitants ont voté dimanche à près de 61 % pour Marine Le Pen. Le maire, Thierry Dupuis (sans étiquette), a lancé un débat sur Facebook avec ses administrés pour mieux comprendre les ressorts du vote FN. Lui y voit l’expression d’un ras-le-bol : « On n’a pas de transports, pas de commerces, pas d’Internet… » Il assure faire le forcing pour avoir un Point Poste. « On ne fait plus le lien avec les gens », déplore-t-il.
Dans quelques semaines, la mairie doit ouvrir une épicerie. De quoi, peut-être, rassurer ces retraités qui ont quitté la banlieue parisienne pour une vie plus paisible à Bazoches mais ont pu se laisser tenter par le vote FN pour ne « pas retrouver les “problèmes” d’insécurité qu’ils ont connus en région parisienne ». « Ce sont des détails, mais parfois, il suffit d’un rien pour changer un vote », veut croire Thierry Dupuis.
Dampierre-en-Burly, dans le sud du département. Au bord de la Loire, la vieille centrale nucléaire crache ses colonnes de vapeur d’eau. Chaque année, le bourg de près de 1 300 âmes voit sa population grossir d’une centaine d’habitants, assure le maire, Serge Mercadié (sans étiquette), dont c’est le premier mandat. « Le village est riche, il y a tout ce qu’il faut. » Les infrastructures ne manquent pas. Cette année, le centre nautique sera agrandi. « On n’a pas de chômage ici. Ceux qui ne travaillent pas sont ceux qui ne veulent pas travailler », sourit Serge Mercadié, avec l’assurance de celui qui est assis sur une mine d’or. Et pourtant, là aussi, le vote FN est arrivé en tête le 7 mai, avec 57,7 % des voix. « On a une forte population jeune à qui le FN ne fait plus peur. Que craint un jeune qui gagne 1 200 euros par mois et n’a pas connu la guerre ? »
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