Les supporteurs clermontois ont tout donné pour soutenir leur équipe. | ODD ANDERSEN / AFP

Se méfier des sondages, toujours, sauf ceux réalisés avec un verre de bière écossaise ou autour d’un « Fish and Chips ». Il suffisait de circuler dans les pubs d’Edimbourg pour comprendre, dès l’après-midi du match, que la nouvelle défaite de Clermont ferait encore plus de malheureux que prévu le soir même. Samedi 13 mai, l’ASM Clermont Auvergne a perdu contre les Saracens de Londres (28-17) : sa troisième finale de Coupe d’Europe perdue en autant de tentatives, record en cours.

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Clermontois mais aussi Ecossais ou encore Irlandais : tous ont encouragé les « Jaunards », et chacun avait ses raisons de compatir à ce nouveau revers qui s’ajoutent aux onze défaites sur douze finales du championnat de France. Le fait est qu’encore une fois « si le match se gagnait sur l’ambiance, on l’aurait gagné », soupire Baptiste Chevalier, foulard bleu et jaune au cou, devant le bus des joueurs. A 25 ans, l’Auvergnat cherche du travail dans le domaine du droit. Il plaide sa « fierté » de voir sa ville et sa région connues de toute l’Europe (du rugby). « Notre équipe a du cœur. »

Et surtout, ajoute-t-il, un public comme il en existe peu dans le pays. Ce soutien populaire, seuls les clubs « La Rochelle ou Toulouse » pourraient aussi s’en prévaloir. « Faut venir à Clermont ! », enchaîne à ses côtés Amandine Charles, 23 ans, les joues peinturlurées. Béret bleu sur la tête, la jeune kinésithérapeute raconte cette ferveur qui la pousse au stade Marcel-Michelin mais aussi partout en Europe. « On est passionné, on y croit à chaque fois ! »

Des renforts pour soutenir « Clermonte » (avec l’accent)

La défaite en voyageant : ses deux premières finales de Coupe d’Europe, Clermont les avait perdues à Dublin (2013) puis à Londres (2015), toujours contre Toulon. « On est dégoûté de perdre. A chaque fois, on se dit qu’on n’ira plus faire le déplacement, à chaque fois qu’on est finaliste, on y va quand même ! », plaisante Corinne Ranvier, coiffée d’un chapeau à cornes et à tresses, à la mode de Gergovie. Cette chargée de clientèle fêtera ses 48 ans mardi à Edimbourg.

A ses côtés, son mari et un collègue de travail. Ce dernier, Damien Gros, précise : « Les places pour cette finale, on les avait achetées dès janvier ou février. » A l’époque, il restait encore plusieurs matchs à gagner pour se qualifier. Risqué mais rentable. « Pour l’avion, on en avait eu pour 220 euros aller-retour et 40 euros le billet [du matcht]. » Depuis, les tarifs ont augmenté, et les prix des hôtels avec. Trop, beaucoup trop pour rendre le déplacement accessible à tous les Clermontois : quelque 3 000 « Jaunards » auraient fait le déplacement, laissant la majorité de la « Yellow Army » suivre la finale sur écran géant à Clermont, place de Jaude.

Dans les tribunes de Murrayfield, plusieurs groupes de drapeaux jaunes agités çà et là. Les voyageurs clermontois ont eu du renfort. De fait, beaucoup d’Irlandais et d’Ecossais avaient également acheté leur place de longue date. Leurs équipes respectives ayant échoué à aller en finale, ils ont pris le parti de soutenir « Clermonte » (avec l’accent) plutôt que les Saracens. « Le club a de bons supporteurs, des gens sympas », argumentent Dan et Kevin, la trentaine, tous deux chefs de chantier. Les deux Irlandais portent un sweat rouge aux couleurs de Munster… recouvert d’une écharpe jaune de Clermont achetée le jour même dans le centre-ville.

Rugby et politique

La « Red » et la « Yellow Army » se connaissent et s’apprécient. Mais il y a des alliances ou des inimitiés encore plus lointaines et parfois moins sportives. « Tu connais l’Histoire? Tu connais Braveheart ? », plaisante Stevie, responsable d’une société, à la table d’un pub. Sous-entendu : pour certains Ecossais, « tout sauf encourager un club anglais ! » En 2014, Edimbourg a pourtant refusé que l’Ecosse accède à son indépendance et sorte du Royaume-Uni. Le « non » l’a emporté à 61 % dans la capitale, et à 55 % sur l’ensemble des villes.

Reproche de Stevie aux autres de sa tablée : « Vous avez trop écouté la propagande de la BBC ». Lui a voté pour l’indépendance. Gordon, professeur de technologie, a fait le contraire : il dit avoir écouté « sa tête » plutôt que son « cœur » : « Ma tête disait non”, mon cœur disait oui », résume-t-il avec lucidité. Autour de lui, des écrans de télé diffusent des matchs de football : le sport le plus populaire d’Ecosse. Aussitôt, une blague facile : « Pourtant, quand on voit les résultats de la sélection nationale en foot… »

A deux pas du consulat général de Chine, le stade de Murrayfield accueille les matchs de l’Ecosse aussi bien pour le football que le rugby. Quelque 67 000 places d’où ont résonné surtout des chants clermontois. « Des chants entraînants et faciles à mémoriser qui font un bruit incroyable », admire une famille anglaise pro-Saracens. Graham et Monica ont fait le voyage depuis Londres avec leur fils Joshua. Tous ont encore en tête les « Monferrand, allez, allez ! » entendus à intervalles irréguliers.

« Pour quelqu’un de neutre », ajoutent les parents, encourager Clermont tenait du « choix facile » : « Clermont avait déjà perdu deux finales, alors que les Saracens avaient remporté le titre l’an dernier [déjà contre un club français, le Racing]. » Egalement en cause, selon l’institutrice et l’informaticien : les reproches faits aux « Sarries » londoniens pour leur « style de jeu trop limité, trop ennuyeux » malgré les victoires en Coupe d’Europe comme en championnat d’Angleterre.

Beau perdant, l’entraîneur de l’ASM, Franck Azéma, a reconnu la défaite en conférence de presse. Il l’a regrettée d’autant plus qu’« [il] a senti », lui aussi, que « ça poussait fort » en tribunes. Lui aussi a senti « cette attente des Auvergnats mais aussi des Ecossais » à chaque fois que Clermont parvenait à réduire l’écart avec son adversaire. Au point d’avoir longtemps entretenu l’espoir : seulement un point de retard à un quart d’heure de la fin (18-17). « On est arrivé jeudi, donc forcément on a eu le temps de s’imprégner un peu de l’atmosphère et de voir pas mal de Jaunards dans les rues. » Certains rêvent déjà de retrouvailles l’an prochain en Espagne : Bilbao accueillera la prochaine finale de Coupe d’Europe.