Françoise Nyssen, une éditrice au ministère de la culture
Françoise Nyssen, une éditrice au ministère de la culture
Par Alain Beuve-Méry
La patronne de la maison d’édition Actes Sud hérite de la rue de Valois.
A Paris, le 18 mars 2016. | JACQUES DEMARTHON/AFP
Rue de Valois, l y a eu des écrivains célèbres comme André Malraux, prix Goncourt 1933 pour La Condition humaine et ministre du général de Gaulle, mais jamais de responsable de maison d’édition. C’est désormais le cas avec François Nyssen, patronne d’Actes Sud, créé en 1978 par Hubert Nyssen, son père, maison dont le siège social est installé à Arles et dont elle a repris progressivement la direction avec son époux Jean-Paul Capitani.
Aujourd’hui, la maison arlésienne et parisienne est la plus petite des grandes maisons d’éditions, très loin derrière les Hachette, Editis ou Madrigall (groupe Gallimard), mais elle est riche d’un catalogue prestigieux d’auteurs tant français qu’internationaux : Nina Berberova, Stieg Larsson, Nancy Huston, Alice Ferney, Laurent Gaudé, Jérôme Ferrari, Paul Auster, Pierre Rabhi, Henry Bauchau.
Née le 9 juin 1951, à Etterbeek (Belgique), Françoise Nyssen présente l’originalité d’avoir la double nationalité belge et française. Elle est d’ailleurs une Européenne convaincue. Dans sa vie personnelle, elle a aussi pour caractéristique d’être à la tête d’une famille recomposée, avec sept enfants et beaux enfants, petits-enfants qui forment une tribu unie au Méjan, le siège d’Actes Sud, mais qui a été marqué par un drame intime : le suicide de son fils Antoine, en février 2012.
« Détermination et joie »
De cette douleur, Françoise Nyssen a décidé de faire un ressort pour encore plus se tourner vers les autres. Avec son mari, elle a souhaité créer une structure, l’école du domaine, pour aider les enfants qui n’ont pas su, n’ont pu ou n’ont pas voulu s’adapter au système scolaire français. Dans la foulée, elle avait essayé d’acquérir le groupe d’édition Flammarion, mis en vente par l’italien RCS Libri et dont le chiffre d’affaires était trois fois supérieur à celui d’Actes Sud. En vain, c’est Gallimard qui finalement remporta la mise, et Actes Sud a dû se contenter en lot de consolation, du groupe Payot-Rivages
C’est aussi dans cette démarche d’ouverture que s’inscrit le choix de Mme Nyssen d’accepter la proposition d’Emmanuel Macron et de relever ce nouveau défi : devenir ministre de la culture. Entre les deux tours de l’élection présidentielle, Mme Nyssen avait fait savoir qu’elle « voterait avec détermination et joie pour Emmanuel Macron », car reprenant les mots d’Antonio Gramsci, elle estimait que « le pessimisme de la raison nous oblige à l’optimisme de la détermination ».
« Nous avons la chance en tant qu’éditeur de publier des auteurs de tous les pays qui enrichissent la langue française par leurs textes. Parmi ces auteurs nombreux s’expriment avec talent et courage pour dire l’obscurantisme, le manque de liberté, l’enfermement, la haine de l’autre au risque de leur vie. Je pense entre autres à Alaa Al-Aswany en Egypte, à Kamel Daoud en Algérie, à Salman Rushdie sous menace d’une fatwa, à Asli Erdogan en Turquie et bien d’autres encore », écrit alors la PDG d’Actes Sud.
Chef d’orchestre
Chercheuse au laboratoire de biologie moléculaire, rien ne prédestinait Françoise Nyssen à devenir éditrice, sauf la passion des livres transmises par son père Hubert. Aujourd’hui, elle est une éditrice comblée qui a notamment réalisé en novembre 2015 le coup double de voir deux de ses auteurs recevoir le prix Nobel de littérature avec la Russe Svetlana Alexievitch et le Goncourt avec Mathias Enard, le troisième trophée pour Actes Sud.
Elle est aussi en France, l’éditrice du Charme discret de l’intestin, de Giulia Enders, un bestseller, vendu à plusieurs millions d’exemplaires. En 2004, c’est grâce au succès de la trilogie Millenium, que Mme Nyssen a pu redevenir propriétaire à 95 % de sa maison d’édition, alors qu’elle avait songé à se retirer peu de temps avant et qu’un acte de cession de son groupe avait même été préparé.
Plus qu’éditrice, Françoise Nyssen se dit accompagnatrice de livres, chef d’orchestre d’auteurs, voire le mot qu’elle préfère « ourleuse », autant de qualités dont elle devra user rue de Valois, pour répondre aux attentes des différents publics du ministère de la culture.
A la tête d’Actes Sud, Mme Nyssen détient aussi des librairies sur l’ensemble du territoire national. Elle est éditrice de pièces de théâtre. Femme de culture au sens plein du terme, elle a été nommée résidente de la commission de soutien au scénario de projets de films de long-métrage du Centre national du cinéma et membre du Haut conseil pour l’éducation artistique et culturelle en 2015. Afin d’exercer pleinement ses fonctions ministérielles, Mme Nyssen devrait annoncer qu’elle se met en disponibilité de la direction d’Actes Sud.