A Londres, une école privée veut autoriser les garçons à porter des jupes
A Londres, une école privée veut autoriser les garçons à porter des jupes
Par Alexandra Klinnik
Dans la très huppée Highgate School, les élèves, de plus en plus nombreux à s’interroger sur leur identité sexuelle, ont fait cette demande inhabituelle.
En Grande-Bretagne, l’uniforme est de rigueur dans les écoles.
Au Royaume-Uni, où les uniformes sont de rigueur dans les établissements scolaires, plus d’une centaine d’écoles publiques ont mis en place un uniforme « neutre » en genre. Autrement dit, les garçons peuvent aérer leurs gambettes sous des jupes s’ils le souhaitent, alors que la tradition exigeait la veste bleu marine, la cravate et le pantalon. Les filles ont le choix entre le port du pantalon ou de la jupe.
Pour la première fois, une école privée compte laisser également de choix aux garçons. La direction de la prestigieuse Highgate School, à Londres, veut proposer plus de souplesse à ses 1 400 élèves dans leur choix vestimentaire. Les tenues ne seraient plus nommées « uniforme fille » et « uniforme garçon » mais « uniforme 1 » et « uniforme 2 », et chacun pourra les porter selon ses envies.
Comme l’explique le directeur de l’école, Adam Pettitt, l’idée vient des élèves eux-mêmes, de plus en plus nombreux à remettre en question leur identité masculine ou féminine et à critiquer le « regard trop binaire » des adultes.
« Cette génération s’interroge vraiment. L’objectif est qu’ils soient plus heureux et se sentent rassurés par ce qu’ils sont. Les jeunes pourront adopter le genre auquel ils s’identifient en toute liberté et toute fierté, sans peur. »
« Faire bouger les lignes »
Pour l’heure, la mesure n’a pas été encore appliquée. La direction veut en discuter avec les parents d’élèves, dont beaucoup ne sont souvent pas au courant des troubles qui agitent leurs enfants, explique M. Pettitt, les élèves préférant parler de ça avec leurs professeurs :
« Cela peut sembler insignifiant, dans une école, de s’interroger sur l’uniforme, les bijoux que l’on peut porter, les options sportives. Mais il y a une importance à ce que ces sujets soient discutés en public, pour explorer et faire bouger les lignes plus profondes autour du genre. »
Parmi les autres idées qui ont émergé parmi les élèves, et qui devront être discutées avant une éventuelle application :
- que les professeurs utilisent plutôt des pronoms de genre neutre comme « they » au lieu de « she » or « he » ;
- que les expressions comme ladylike (qu’on peut traduire par féminine) ou man up (prend toi en main) soient interdites ;
- que des toilettes non genrées soient installées.
Certains élèves que des toilettes non-genrées soient installées. | MIKE SEGAR / REUTERS
Il y a à peine dix ans que les filles sont autorisées à la Highgate School, jusqu’alors exclusivement masculine. Aujourd’hui, elles peuvent, si elles le souhaitent, être appelées par des prénoms de garçons. Une demi-douzaine d’élèves aurait déjà fait la demande auprès de leurs enseignants.
Une mesure controversée
Gommer les genres et mettre en place de telles mesures dans un lieu d’enseignement n’est pas pour plaire à tout le monde. Au-delà de la consultation des parents d’élèves, des anciens élèves de la Highgate School ont écrit publiquement à l’administration pour leur dire :
« Si vous livrez les enfants à eux-mêmes, ils grandiront de façon différente et vous promouvez les mauvaises idées. »
Chez les spécialistes de la question et les universitaires, les avis divergent entre, par exemple, ceux qui défendent le choix d’élèves assez intelligents pour savoir ce qu’ils ressentent et ceux qui mettent en garde contre le phénomène de mode des « politiques mal pensées » sur le genre, amplifié par les réseaux sociaux et Internet.
Marie-Pierre Moreau, sociologue de l’éducation à l’université de Roehampton, pense qu’en permettant aux élèves de s’habiller selon leur ressenti, un établissement scolaire reconnaît que le genre est une construction sociale. Les individus ne « s’identifient pas toujours aux prescriptions sociales, ils y résistent aussi », dit-elle, et notamment les enfants et les adolescents qui, malgré leurs jeunes âges, « sont à même d’avoir des positions très tranchées sur des questions de société ».
« On pense souvent que les enfants absorbent passivement ce qu’ils voient autour d’eux. Les [études culturelles] anglo-saxonnes montrent que s’ils peuvent, comme les adultes, être influencés, les idées auxquelles ils sont exposés fonctionnent avant tout comme des ressources dans lesquelles ils vont puiser afin de se forger une opinion. »
Pour Alan Smithers, professeur d’éducation à l’université de Buckingham, à l’inverse, le rôle d’un établissement scolaire doit avant tout « d’aider les jeunes à se sentir bien avec leur identité ».
« Elles ne doivent pas au contraire renforcer leur anxiété avec des mesures comme l’instauration d’uniformes de genre neutre. »
« La jupe est un enclos où on peut difficilement bouger »
Plus prosaïquement, l’idée d’un uniforme neutre peut s’avérer d’emblée effrayante et mettre mal à l’aise à cause du vêtement lui-même : la jupe, cet objet que Bourdieu appelait un « corset invisible », comme le rappelle Marie Duru-Bellat, spécialiste des politiques éducatives et des inégalités sociales et sexuées :
« Ce n’est pas un hasard si les femmes portent des pantalons. C’est tout de même plus pratique pour faire du vélo, pour jouer, pour courir. La jupe est considérée comme un handicap par certaines féministes. La jupe est un enclos où on peut difficilement bouger. Les habits féminins entravent la mobilité des femmes. A terme, je serai surprise que tous les garçons se rallient avec enthousiasme à la jupe. »
Peut-être que le port de la jupe choquera moins les Anglo-Saxons, plus habitués aux tenues traditionnelles des Ecossais (kilt) que les Français. En tout cas, poursuit Marie Duru-Bellat, ceux qui voudraient essayer doivent être libres de faire le choix de cet acte qui peut être vu comme libérateur, ajoute-t-elle, en particulier à « l’école, qui est le champ des possibles et de l’expérimentation ».
« A l’heure actuelle, il y a des rigidités très fortes qui brident les personnes selon leur sexe. Dès lors qu’il y a des spécificités qui paraissent attractives, on peut avoir envie d’essayer. Il y a aussi une sorte de côté ludique. On se déguise aussi dans la vie, comme au carnaval. »
La seule condition pour que telle mesure ou tel changement prouve son efficacité auprès des enfants est le dialogue. Rien ne sert de laisser « patauger les enfants », il faut nécessairement que cela se discute et soit accompagné. En juin, la Highgate School tiendra une conférence sur le développement de l’adolescent où sont conviées une douzaine d’écoles, privées comme publiques.
Un des thèmes discutés sera, précisément, comment les enseignants doivent réagir face à la pression des élèves qui demandent à remettre en question les concepts d’hommes et de femmes.