Diversité ethnique : le gouvernement Philippe ne fait pas mieux que les précédents
Diversité ethnique : le gouvernement Philippe ne fait pas mieux que les précédents
Par Laura Motet
Si de nouveaux visages sont apparus, issus de la société civile notamment, la nouvelle équipe gouvernementale ne se distingue pas particulièrement par son ouverture à la diversité.
Le 17 avril, Emmanuel Macron promettait à ses militants parisiens une France « plus diverse encore dans cinq ans » : « Il y aura des visages, ceux de la France réelle, (…) la France de tous les visages, de toutes les couleurs. » Dans un pays où les débats sur la diversité portent habituellement davantage sur la parité, les statistiques ethniques restent un sujet très controversé dans l’opinion publique. Des institutions comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ou le Défenseur des droits ont pourtant décidé de s’intéresser à la question.
« Comme les statistiques sexuées dans le domaine de l’égalité entre hommes et femmes, elles sont le seul moyen de mettre en évidence les discriminations raciales collectives et systémiques », explique Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), pour qui ce « diagnostic » constitue un premier pas vers davantage de diversité.
« Sauf à vouloir reproduire le modèle colonial et ségrégationniste, dans lequel les minorités ethniques sont exclues des lieux de pouvoir, il est essentiel qu’elles soient représentées partout, y compris au plus haut niveau. Il en va de la diversité comme de la parité : c’est cela, la démocratie. »
Malgré l’ampleur toujours plus importante prise par la question de la diversité ethnique du cinéma à l’Assemblée, en passant par l’école, la situation dans les gouvernements n’a que peu évolué depuis 2002, à l’exception notable du mandat de François Hollande.
Un gouvernement moins divers
Le premier gouvernement de la présidence Macron est aussi divers que ceux sous les présidences Chirac et Sarkozy : autour de 9 % de ses membres appartiennent à une minorité ethnique, selon nos calculs (méthodologie en fin d’article). Seul le premier gouvernement Raffarin fait figure d’exception, avec ses 3,6 %.
Le gouvernement Philippe se place cependant derrière tous ceux de la présidence Hollande en termes de diversité, qui comptaient, parmi leurs membres, entre 15,7 % et 20,5 % de personnes issues de minorités.
« On peut considérer que, grosso modo, près de 20 % de la population vivant en France peut être perçue comme non-blanche », expliquait le sociologue Eric Macé à Slate, en janvier 2016. D’autres estiment que cette part se situe plutôt autour de 11 %. En l’absence de statistiques officielles, impossible d’avoir un élément de comparaison précis.
Mieux représentées, les minorités ? Le président du CRAN nuance pendant ce constat : « Il faut examiner la situation à tous les étages. Car la parité et la diversité qu’on respecte plus ou moins au niveau des ministres disparaissent totalement au niveau des cabinets, dans les lieux où s’élaborent les décisions. »
Un manque de diversité constaté dans toute la fonction publique, d’après un rapport remis à Bernard Cazeneuve en février. « Si la fonction publique hérite d’inégalités existant par ailleurs, elle les accentue parfois et ne peut se dédouaner de sa responsabilité à cet égard », expliquait alors le conseiller d’Etat Olivier Rousselle.
Davantage de secrétaires d’Etat que de ministres
Les personnes issues des minorités ethniques occupent davantage de postes de secrétaires d’Etat que de ministres. Cette distinction est loin d’être symbolique : les secrétaires d’Etat ne gèrent pas de budget propre et ne peuvent pas signer de décrets, contrairement aux ministres.
Par ailleurs, tous les portefeuilles ministériels n’ont pas le même poids. Les ministères régaliens (intérieur, justice, défense, affaires étrangères, économie) ne sont presque jamais occupés par des personnes issues d’une minorité ethnique. Seul le ministère de la justice fait figure d’exception, avec Rachida Dati entre 2007 et 2009, et Christiane Taubira entre 2012 et 2016.
La diversité souvent limitée à des portefeuilles spécifiques
Si la part des minorités a augmenté entre 2002 et la présidence Hollande, cette ouverture à la diversité a généralement eu lieu au sein de ministères et de secrétariats d’Etat bien particuliers. 85 % des membres du gouvernement ayant eu l’outre-mer parmi leur portefeuille étaient issus d’une minorité ethnique entre 2012 et 2017, contre 20 % entre 2002 et 2012.
A l’heure où la guerre d’Algérie enfièvre toujours le débat politique, le portefeuille des anciens combattants est également régulièrement confié depuis 2002 à des harkis – Algériens ayant combattu aux côtés de l’armée française contre l’indépendance algérienne – ou à leurs descendants. Après les accords d’Evian, en 1962, et face aux menaces de mort, une partie des harkis s’est réfugiée en France. Cette communauté représenterait aujourd’hui un demi-million de personnes.
Deux sur trois sont des femmes
L’analyse des gouvernements depuis 2002 révèle également que la grande majorité des membres du gouvernement issus de minorités ethniques sont également des femmes.
« Lorsqu’il s’agit de composer un gouvernement en donnant à la fois plus de place aux personnes de couleur et aux femmes (…), il est plus “économique”, pour parler en termes de choix rationnel, de faire se superposer les deux catégories : minorités et genre. En effet, la classe politique étant encore très largement composée d’hommes blancs, notamment au niveau de ceux qu’on appelle ses “poids lourds”. Introduire de la diversité ethnoraciale parmi eux serait “coûteux”, alors que l’intégrer dans la sélection des femmes nouvellement promues permet de faire d’une pierre deux coups », explique Didier Fassin, professeur de sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de Princeton.
Une analyse à laquelle souscrit le président du CRAN, Louis-Georges Tin, qu’il complète en émettant une seconde hypothèse sur la surreprésentation des femmes parmi la diversité gouvernementale : « De manière plus ou moins consciente, les sociétés occidentales voient les hommes noirs ou arabes comme un groupe quelque peu anxiogène, cette mentalité collective étant toujours prisonnière des représentations coloniales, ou néocoloniales. »
Les hommes peuvent ainsi être vus comme des « concurrents directs en politiques », ajoute Eric Macé, auteur avec Nacira Guénif-Souilamas du livre Les Féministes et le garçon arabe (Editions de l’Aube, 2004). « C’est moins le cas en général pour les femmes, qui peuvent être “mentorées” sans trop de risques (…) – surtout si elles sont considérées comme “jeunes” et “jolies”. »
Le sociologue évoque également le facteur socio-éducatif : « Dans tous les milieux sociaux, y compris dans les milieux populaires liées aux migrations, les filles sont meilleures à l’école et plus diplômées que les garçons : c’est utile pour faire une carrière politique, surtout en France où l’accès à l’élite est conditionné par les diplômes. »
Quelle qu’en soit la raison, ce cumul des diversités fait grincer des dents certaines personnalités politiques. « Rama Yade est une femme et elle est noire, elle va être promue. Heureusement qu’elle n’est pas lesbienne et handicapée, sinon elle serait premier ministre », ironisait Roselyne Bachelot, ancienne ministre et fille du député Jean Narquin, en 2007. « Cette place réservée aux femmes et aux minorités n’est pas seulement symbolique », réfute Didier Fassin. Ce qui relevait d’abord du calcul « introduit une certaine correction des discriminations sexistes et ethnoraciales dans le monde politique ».
Pour en savoir plus sur les statistiques ethniques
Ce que dit la loi
La loi du 6 janvier 1978, dite « loi informatique et libertés » interdit d’associer à des individus identifiés des données dites « sensibles », comme les origines ethniques. Outrepasser ces règles peut conduire à une peine de prison de cinq ans et 300 000 euros d’amende, ce à quoi la CNIL peut ajouter une amende.
Dans son guide « Mesurer pour progresser vers l’égalité des chances », la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et le Défenseur des droits rappellent qu’il existe certaines exceptions au principe d’interdiction de collecte de données sensibles :
- les traitements nécessaires à la sauvegarde de la vie humaine
- les traitements nécessaires à la constatation, à l’exercice ou à la défense d’un droit en justice
- les traitements nécessaires aux fins de médecine préventive et les traitements nécessaires à la recherche médicale
- les traitements mis en œuvre par une association ou un organisme à but non lucratif et à caractère religieux, philosophique, politique ou syndical pour la gestion de ses membres ou des personnes qui entretiennent avec l’organisme des contacts réguliers dans le cadre de son activité
- les traitements réalisés par l’Insee ou les services statistiques ministériels
- les traitements faisant l’objet d’un procédé d’anonymisation « à bref délai » reconnu conforme par la CNIL
- les traitements de données recueillies avec le consentement exprès des personnes ou de données ayant été rendues publiques par la personne
- les traitements justifiés par l’intérêt public
« Les enquêtes entièrement anonymes dès la phase de collecte ne sont pas soumises à la loi “Informatique et Libertés” » rappelle cependant le guide. C’est cette distinction qui a permis au CRAN de lancer son site Statistiques populaires, invitant chacun à participer à ces études sur la représentation de la diversité dans des lieux de pouvoir.
Notre méthodologie
- l’échantillon : tous les membres des gouvernements depuis 2002. N’ont pas été comptées les nominations hors remaniement, par exemple après la démission d’un(e) ministre.
- les critères : une fois les données anonymisées, nous avons effectué un comptage sur la base de critères analogues à ceux du CSA dans son étude de la diversité à la télévision :
- origine perçue
- catégorie d’âge
- genre