Simon Njami, pourfendeur d’une vision exotique des artistes africains. | JOHN HODGKISS/AFP

Un printemps africain déferlerait sur la France ? Simon Njami se gausse de cette impression avec une belle pirouette. « Il ne s’agit que d’un malheureux hasard, une illusion d’optique. Sans aucune concertation, plusieurs événements vont se dérouler en même temps. Mais il ne s’est rien passé pendant des années et je suis persuadé qu’il ne se passera rien dans les dix années à venir. Qu’est-il prévu en 2018 ? »

Ecrivain, essayiste, critique d’art et commissaire d’exposition, ce quinquagénaire à la causticité joyeuse sait de quoi il parle. Entre 2004 et 2007, son exposition « Africa Remix », où il fut l’un des premiers à mettre en avant l’art contemporain africain, a été présentée à Düsseldorf, Londres, Paris, Tokyo, Stockholm et Johannesburg. Biographe de l’écrivain afro-américain James Baldwin et du poète président Léopold Sédar Senghor, il fut, entre 1991 et 2001, le rédacteur en chef de la Revue noire, un magazine trimestriel qui contribua à sortir l’Afrique de son image exotique pour la propulser dans la modernité.

Raconter plus que démontrer

Directeur artistique des Rencontres de Bamako, de 2001 à 2007, il permit à Seydou Keïta et Malick Sidibé d’être reconnus comme d’immenses photographes. Impressionné par sa programmation, au printemps 2016, de la 12e édition de Dak’art, la Biennale de Dakar, Didier Fusillier, le président de la Grande Halle de La Villette, lui a proposé de concevoir « 100 % Afriques », un festival destiné à mettre en perspective toutes les facettes de la création africaine actuelle (musique, danse, théâtre, design…) à travers des spectacles et une exposition, « Afriques Capitales », où une soixantaine d’artistes de tout le continent présentent leurs œuvres.

Afin de tourner le dos à tout ce qui pourrait ressembler à un effet de mode et éviter d’être pris pour le porte-voix d’une tendance où il ne se reconnaît pas, Simon Njami a préféré raconter plus que démontrer. « Autant se servir de l’art pour se poser quelques questions en ces temps de conservatisme généralisé et de mauvaise lecture, disons ethnocentrique, de la réalité, notamment dans ce pays que j’aime et dans lequel je vis, où l’on en est encore à se demander si la colonisation a été une bonne chose », explique-t-il.

Donc, en avant pour un parcours poétique au milieu d’une Afrique multiple, des Afriques au pluriel. Et quoi de mieux, pour cela, qu’une ville. « Non pas une ville déterminée, localisée, mais une ville vécue comme un espace d’échanges, de rencontres, de tensions. L’avenir ne se niche pas dans la revendication outrancière de nos particularismes, mais, au contraire, dans le dépassement de soi et la rencontre avec l’autre », précise notre commissaire. D’où, au milieu du parc de La Villette, l’un des rares endroits symboliques de la multiplicité de Paris, la reconstitution d’une cité rêvée avec des immeubles, une bibliothèque, des places, un pont, des cafés, du bruit et des murs recouverts d’affiches.

Un parcours poétique

Un endroit où l’on se perd, se retrouve, se mélange dans un parcours poétique qui renverrait au « Je est un autre » de Rimbaud et permettrait de découvrir des œuvres venues d’ailleurs mais parlant d’une histoire qui nous concerne tous. « La ville illustre un mouvement perpétuel qui ressurgit d’une façon frappante dans les mégapoles africaines. Chaque fois que je retourne au Caire ou à Lagos, je suis perdu, alors qu’à Paris, tout est figé. »

D’où des vidéos de William Kentridge, un Sud-Africain, une pyramide conçue par El Anatsui, un Ghanéen installé au Nigeria, une chambre d’étudiant revisitée par Poku Cheremeh, également ghanéen, des peintures de Ouattara Watts, un Ivoirien installé à New York depuis trente ans, ami de Jean-Michel Basquiat, des installations de Pascale-Marthine Tayou, un Camerounais qui vit à Gand, des photos de Leïla Alaoui, une Franco-Marocaine tuée en 2016 à Ouagadougou dans une attaque terroriste, des clichés de Mimi Cherono Ng’ok, une jeune photographe kényane installée à Nairobi…

Au même moment, et comme en miroir, Simon Njami a conçu, à Lille, dans la Gare Saint-Sauveur, une autre exposition, nommée « Vers le cap de Bonne-Espérance ». Trente artistes contemporains venus d’une quinzaine de pays africains, du Maghreb à l’Afrique du Sud, inviteront les visiteurs à un voyage spirituel, poétique, politique, artistique et engagé à travers un continent en pleine réinvention. L’intention ? Comme pour « Afriques Capitales », s’éloigner du regard paternaliste porté sur l’Afrique.

« Dans les années 1920, Emmanuel Berl parlait de la “vague nègre”. Dans les années 1980, on parlait de la “vogue nègre”. Aujourd’hui, je ne sais pas trop de quoi l’on parle… Africain, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. J’ai passé une bonne partie de ma vie à y réfléchir, et je n’ai pas de réponse. Je n’ai pas de gris-gris chez moi, et je préfère le champagne au vin de palme… » commente Simon l’Africain dans un ultime pied de nez.

Article tiré du hors-série du Monde, Art, le printemps africain, 84 pages, 12 euros, en librairie et sur boutique.lemonde.fr.

Exposition Afrique Capitales, Grande Halle de La Villette, à Paris, jusqu’au 28 mai 2017.