« L’Amant d’un jour » : l’amour, ce conte cruel toujours recommencé
« L’Amant d’un jour » : l’amour, ce conte cruel toujours recommencé
Par Mathieu Macheret
Le cinéaste Philippe Garrel intègre cette fois l’amitié féminine à sa peinture des sentiments.
Le dernier film en date de Philippe Garrel, l’ex-petit frère soixante-huitard de la Nouvelle Vague, aujourd’hui l’un des plus grands peintres de nos fluctuations intimes et sentimentales, sort en salles dans la foulée de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, dont il revient récompensé du prix de la SACD (ex æquo avec Un beau soleil intérieur, de Claire Denis).
L’Amant d’un jour s’inscrit dans la continuité du récent virage négocié par Garrel avec La Jalousie (2013) et L’Ombre des femmes (2015), qui dessinent une série de films pointillistes, aussi concis que des nouvelles, brossés dans de splendides lavis en noir et blanc, et consacrés à chaque fois au récit particulier d’un « épisode » amoureux. Série qui se distingue non seulement par sa netteté d’exécution et sa justesse synthétique, mais aussi par la mise au jour de schémas secrets, enfouis au cœur des comportements amoureux, et dont la révélation délicate donne à chacun des films l’allure d’apologues sans emphase.
L’Amant d’un jour s’ouvre, de façon frappante, sur deux pics d’intensité consécutifs. Une étudiante (Louise Chevillotte) dévale les escaliers de l’université, pour rejoindre un amant dans les toilettes et jouir de son étreinte. Une seconde jeune femme (Esther Garrel), mise à la porte de chez son petit ami, s’écroule sur le trottoir et fond en larmes. Entre l’orgasme et les pleurs, deux cris déchirent littéralement la bande-son, avec une violence saisissante, comme pour rendre immédiatement présents les deux personnages féminins (au-delà de toute caractérisation psychologique). Deux cris qui les identifient l’une à l’autre, car issus d’émotions primales, mais les dissocient dans un même mouvement, puisqu’ils appartiennent aux domaines inversés du plaisir et de la douleur.
L’étudiante vit une histoire d’amour avec son professeur de philosophie (Eric Caravaca), dont elle partage l’appartement. La seconde n’est autre que la propre fille de ce dernier, venue frapper à sa porte à la suite de sa rupture, et devant donc cohabiter avec cette concubine qui a le même âge qu’elle. Les deux jeunes femmes se soutiennent mutuellement, l’une pour surmonter les tourments de la séparation, l’autre pour cacher ses fréquentes incartades. Des secrets partagés (une tentative de suicide avortée, des photos compromettantes) les liguent dans le dos du père, mais leurs ethos amoureux, en tous points opposés, les conduisent à leur insu à se tirer dans les pattes.
Des affects contraires
C’est la première fois, à travers ses deux héroïnes, que Philippe Garrel investit avec autant d’attention, et dans le détail, le motif de l’amitié féminine, qui s’ouvre ici comme un contrechamp à la relation homme-femme, d’ordinaire cardinale dans son cinéma. Le cinéaste constate toujours une dualité irrémédiable entre les sexes (« On fonctionne pas pareil », lâche l’étudiante), mais observée cette fois à partir d’une sororité mimétique. L’élément féminin, déplié en deux pôles (fille et maîtresse), désigne la liaison amoureuse comme une hésitation constante (et œdipienne) entre le désir et la filiation.
En réunissant ainsi dans un même appartement deux histoires d’amour, l’une qui commence et l’autre qui finit, le récit superpose des affects contraires qui finissent par se contaminer mutuellement. Combinant ainsi deux moments contradictoires du cycle sentimental, Garrel examine avec une acuité bouleversante ce drôle de paradoxe affectif : l’amour n’est éternel qu’à condition de s’accepter comme entropique, c’est-à-dire toujours voué à sa propre destruction.
Mais l’événement majeur reste encore l’arrivée de l’inconscient dans l’œuvre du cinéaste (sans doute due en partie à l’intervention du scénariste Jean-Claude Carrière), jadis si rétif à toute forme de psychologie retorse. Depuis trois films, une trame inconsciente dédouble celle du récit amoureux pour déboucher sur une sorte de conte cruel(les trompeurs trompés de La Jalousie et L’Ombre des femmes).
Dans L’Amant d’un jour, si l’amitié entre les deux femmes relève du domaine du conscient, l’inconscient recouvre en quelque sorte l’arène impitoyable de leur rivalité secrète. Elles ne partagent ni le même rapport au corps ni la même temporalité : l’une, rayonnante de sensualité, accède au désir présent, tandis que l’autre, apparemment plus fragile, reste chevillée dans le projet de restaurer son couple. Antagonisme accentué par toute une série d’actes manqués, de gestes esquissés, de paroles échappées et de non-dits qui en disent toujours trop long. A la fin, l’une aura raison de l’autre, mais la plus captive des deux n’est désormais plus celle que l’on croit.
L'AMANT D'UN JOUR de Philippe Garrel - bande-annonce
Film français de Philippe Garrel avec Louise Chevillotte, Esther Garrel, Eric Caravaca (1 h 16). Sur le Web : www.sbs-distribution.fr/distribution-france-l-amant-d-un-jour