Après le premier tour des législatives, les militants socialistes face à « un choc de réalité »
Après le premier tour des législatives, les militants socialistes face à « un choc de réalité »
Par Solène Cordier
Le Parti socialiste pourrait perdre jusqu’à 264 députés lors des législatives. Sur le terrain, la déception est difficile à surmonter pour les adhérents.
Maison des familles, à Trappes, dans les Yvelynes, au QG de Benoît Hamon. A 22 heures, le candidat annonce à son comité de soutien et aux militants qu'il n'ira pas au second tour des législatives, battu de quatre-vingts voix. | CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Ouléma Ba est « sur le pont » depuis la primaire à gauche. Alors pas question de se reposer maintenant, entre les deux tours des élections législatives. Porte-à-porte tous les soirs après le travail, tracts sur le marché le dimanche… La militante socialiste de 58 ans, adhérente depuis 2012, ne ménage pas ses efforts pour la victoire de son député, « Jean-Patrick » [Gilles, député sortant]. C’est le seul candidat officiellement étiqueté Parti socialiste encore en lice au second tour des élections législatives en Indre-et-Loire, où l’ancienne ministre de la santé, Marisol Touraine, également qualifiée, a choisi de se présenter sous la bannière de La République en marche (LRM).
Même si elle admet, « c’est chaud pour nous quand même, il faut mettre les bouchées doubles », Mme Ba garde sa confiance et son sourire. « Là, ça va, il fait beau, pendant la primaire quand on tractait sous la pluie, c’était moins drôle », plaisante-elle.
Sa voix encore pleine d’entrain détonne avec la déception qui pointe dans celles de nombre de militants socialistes, au lendemain d’une défaite historique pour le parti, qui n’a recueilli que 7,44 % des suffrages dimanche 11 juin. Sur tout le territoire, les responsables et militants socialistes disent attendre les résultats du second tour, qui pourrait faire perdre jusqu’à 264 députés à leur parti, pour penser à « l’après ». Nombreux sont ceux qui peinent encore à évaluer les conséquences de ce « choc de réalité majeur », comme le décrit l’un d’eux.
Explications locales, responsabilités nationales
« Quand on est militant, c’est très dur. Cela fait quinze ans que je me bats, et oui, j’ai clairement un sentiment d’échec. Là, on est au fond du trou et on est devenus inaudibles. Quelqu’un nous aurait annoncé ce résultat il y a un an, on n’y aurait pas cru. Une explosion du PS avec un siphonage en règle par LRM, on ne l’avait pas vu venir », estime Sylvain Mathieu, responsable du PS dans la Nièvre.
Dans les circonscriptions où un candidat socialiste a échappé à la curée du premier tour, les forces sont logiquement mobilisées en vue du second. Les candidats écument les foires, enchaînent les réunions publiques. En ligne de mire, la bataille pour mobiliser la fameuse « réserve de voix » que tous ont en tête : les abstentionnistes, qui étaient plus de 51,29 % au premier tour.
« La question qui se pose aux Tourangeaux dimanche est la suivante, explique par exemple Franck Gagnaire, premier secrétaire adjoint de la fédération d’Indre-et-Loire. Quel est le choix le plus judicieux : un énième député LRM qui appliquera les consignes venues d’en haut ou un député sortant, de terrain, porteur de convictions ? »
Dans les circonscriptions où le candidat socialiste a été éliminé dès le premier tour, les militants rangent les affiches, nettoient le local de la campagne avant de rendre les clés, commencent à s’atteler aux comptes. Beaucoup, sonnés, admettent tout juste « ne pas avoir envie de parler des législatives ». Mais si le temps de l’introspection n’est pas encore venu, celui de pointer les responsabilités a débuté.
Les explications varient au gré des contextes locaux. Quand certains s’insurgent contre les barons locaux honnis et désormais tombés en disgrâce, d’autres soulignent le peu d’engouement provoqué par des candidats novices. Partout, l’amertume envers les élus qui ont pris le train LRM dès que possible est forte.
« On a trahi les idéaux de la gauche »
Pour beaucoup, l’étiquette PS a desservi les candidats. « On a fait trois semaines de bonne campagne, se remémore Mickaël Fernandes, directeur de campagne dans la huitième circonscription du Nord, à Roubaix et Wattrelos. Je ne pourrais pas vous dire combien de fois on a entendu : “Les gars, vous êtes sympas, mais le PS, on n’en veut plus !” Notre candidat aurait eu l’étiquette La France insoumise ou La République en marche, il aurait fait plus, estime le militant, encarté depuis la fin de 2011. Qui dit logo PS, dit Hollande, dit Valls, dit déchéance de nationalité… »
Fatalistes, plusieurs responsables de fédérations soulignent qu’avec l’inversion du calendrier électoral mise en place par Lionel Jospin en 2002, la dynamique de victoire avantage le camp du gagnant à la présidentielle. D’autres pointent des signaux ignorés par la direction du parti. « En 2012, on avait tout gagné, et depuis 2012, on perd tout, résume Sylvain Mathieu. C’était écrit qu’on allait perdre, parce que François Hollande a tourné le dos pendant le quinquennat aux engagements que nous avions pris devant nos électeurs. »
Les remontées du terrain n’ont pourtant pas manqué, se défendent les responsables des fédérations. Et d’énumérer, unanimes, une liste qu’on devine maintes fois répétée. « Cela a commencé par le CICE, puis la loi travail et, pour finir, la déchéance de nationalité. Là, on a touché le fond. » Les mêmes mots reviennent en boucle : « On a trahi les idéaux de la gauche, mis en œuvre une politique qui ne correspond pas à nos valeurs. »
« On est au bout d’un cycle et ce n’est pas faute d’avoir alerté », estime Stéphane Guiguet, premier fédéral de Saône-et-Loire, où la candidate PS affrontera une candidate LRM dans la quatrième circonscription, où Arnaud Montebourg fut député.
« Au moins, la situation s’est clarifiée »
Au-delà des rancœurs, le verdict des urnes et la démobilisation des électeurs inquiètent. Pour Franck Gagnaire, « c’est très inquiétant de ce que cela dit du délitement de la société française. Une espèce de renoncement global envers la politique au sens large et la démocratie ». Un sentiment d’abandon qu’illustre bien l’érosion du nombre d’adhérents au PS, passé en dix ans de 256 000 à 120 000.
Maigre consolation, une petite phrase revient dans la bouche de ceux qui refont le match : « au moins, la situation s’est clarifiée » avec le verdict des urnes. Les « vrais socialistes » et les autres, qui ont rejoint la majorité présidentielle, auront du mal à refaire cause commune à l’avenir. Considéré comme un « politicard professionnel », le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, incarne, pour les militants de l’aile gauche du Parti, ce qu’ils « ne veulent plus voir ».
Après le second tour, viendra le temps de la refondation. Tous s’accordent sur la nécessité de rediscuter, au sein des sections, « des orientations que ce parti politique a vocation à porter ». Pour certains, le PS ne pourra pas renaître de ses cendres. « Le parti est mort, ça a été trop longtemps un parti d’élus », estime Mickaël Fernandes, jugeant inutile de « s’entêter ». Un militant socialiste marseillais de longue date, plus nuancé, considère, lui, que « le PS en a vu d’autres ». « C’est le parti de Blum, de Jaurès, de Mendès France, de Rocard, de Jospin… Le PS est le parti de la transformation sociale, celui de la défense des salariés et des services publics. On disparaîtra quand les problèmes de nos concitoyens auront disparu, veut-il croire. Il va y avoir une traversée du désert, c’est évident, reste à savoir combien de temps elle va durer. »
Quel que soit le degré d’amertume, de fatalisme ou de colère, tous en sont convaincus. Il existe un espace politique disponible entre « le libéralisme d’Emmanuel Macron et l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon », pour le socialisme, la sociale démocratie. Reste à savoir comment s’en saisir.